Bernard PLOSSU – Tirages FRESSON (1)
Pour ouvrir la série de portfolios de photographes utilisant le procédé Fresson, avec Denis nous sommes très honorés de vous présenter le regard très original de Bernard Plossu.
J’étais un peu intimidé d’approcher « Monsieur Plossu », mais dès son premier message d’accord pour participer à cet hommage au procédé Fresson, il m’a séduit par sa simplicité et sa gentillesse.
Pour approcher Bernard Plossu, j’ai visionné des films et lu des articles qui sont disponibles sur Internet.
Dans un premier temps, je vous propose mon anthologie de quelques moments de sa vie, en lui laissant parole sur une petite sélection de ses images qu'il nous a autorisés à vous présenter.
Merci de prendre le pas de Bernard en partant en voyage avec ses photos en tirages Fresson.
Philippe Pons
« A 13 ans, j’ai débuté la photo avec un Brownie-Flash, j’étais dans le Sahara avec mon père »
Monument Valley - Californie - 1982
« Comme je travaillais mal à l’école, je suis allé à la Cinémathèque, où j’ai appris l’image ; je ne savais pas que j’allais devenir photographe. Je faisais des photos de ma copine qui était très très belle avec une petite Retinette ; une partie de ma famille vivait au Mexique : je suis allé les rejoindre. »
« C’était en 1966, un an avant l’époque du Summer of Love de San Francisco, un mélange Beatnik-Hippies, et mes premières parutions dans deux revues géographiques.»
Californie - 1978
« Il n’y a que le tirage Fresson qui donne la même ambiance que le NB.
Sans le Fresson, je ne sais pas si je ferais de la couleur. Le grain du procédé et le papier mat permet de faire du NB en couleur .
Il y a l’épaisseur du temps dans le grain ; c’est le seul tirage couleur au monde qui ne passera pas.
Fresson, c’est un Maître! »
Ranchos de Taos - Nouveau Mexique - 1977
« Mon appareil a la moitié de mon âge, avec un objectif de 50.
Un objectif de 50, c’est le langage du réel.
Le 50 mm permet d’être à la bonne distance de regard (le télé rapproche, le grand angle déforme).»
Vezelay - 2011
« Une bonne photo, c’est un mélange de tous les sens ; la photo bien composée, c’est pas mon truc.
Les petites photos forcent le regard. Il faut s'approcher pour entrer dedans et on s'en souvient!
La perfection en photo frise souvent l’ennui.»
Mexico City - 1966
« La photo, c’est le hasard, il faut être prêt, on a le hasard que l’on mérite. En photo, le hasard ce n’est pas forcement que qui est devant soi, mais cela peut être derrière. En photo, il faut savoir se retourner. »
Ventolene - Italie - 2010
« J’aime les petites photos car elles prennent la force de la lumière du paysage. (Rencontre avec des étudiants de l’Ecole Supérieure des Métiers d’Art à Arras). »
Californie - 1980
« En argentique, il y a une discipline, on fait 36 photos; en numérique, on fait n’importe quoi ; on fait 600 photos, je suis du XX ème siècle. »
Françoise
« Mes photos sont pudiques .»
Chez moi à la Ciotat - 2014
« J’aime bien ce que disent les critiques ; maintenant on lit un livre photo, on ne fait pas que regarder. »
Giverny - Jardin vu de la chambre de Cl Monet - 2010
« Pour moi la photographie, avant l’œil c’est de la danse, une chorégraphie, je ne vois pas, je danse. »
Molène
« Je ne suis pas un photographe de voyages, mais un photographe qui vit ailleurs. »
« Quand c’est sincère, c’est bon. »
« Être rapide pour entrer dans une photo – une démarche mémorielle. »
Ile de Houat
« Mon père, en tant que montagnard m’emmenait voir les Westerns, et moi ce que j’aimais, c’est la nature, et j’aimais les westerns où les héros étaient les indiens, pas les cow-boys, j’avais 12-14 ans, et cela a déclenché mon amour pour Cochise, pour les Apaches. »
White Sands ( EU) - 1980
« Quand je dis très joli, je pense à Edouard Boubat, je pense à lui tout le temps … Quel grand homme, on ne parle pas assez de Boubat. »
l'arbre et la poule - ©Edouard Boubat
Bernard Plossu habite dans le Midi, il n'a pas souhaité dialoguer avec nous via Zoom ou Skype, préférant recevoir nos questions, en y répondant très rapidement par écrit.
Nos Questions
Les Réponses de PLO ( Bernard Plossu )
DC : Les tirages Fine Art de l’Atelier Fresson sont au cœur de votre expression photographique ; on pourrait même ajouter, vos interprètes privilégiés. Nous aimerions savoir dans quelles circonstances ou relais vous avez été conduit à les rencontrer ?
PLO : En début 1967, de retour du Mexique, un ami me parle du procédé Fresson : il est photographe de mode, - Michel Mathelo, et du coup je vais à Savigny-sur-Orge, en mars, ou je rencontre le papa, Pierre, et le fils Michel.
A cette époque, j'avais des diapositives Kodachrome du Mexique et de la Californie, et dès que j’ai vu de leurs tirages, j’ai su tout de suite que c'était LE procédé qui collerait à l’ambiance de mes photos couleur !
Il y avait, avec le grain et le coté mat non brillant, la même ambiance que dans mes photos noir et blanc faites au Tri X. La même possibilité poétique.
La Ciotat - 2010
DC : A la différence des autres procédés plus classiques, les tirages Fresson soulignent, il nous semble, davantage le graphisme de l’image, creusent plus les hautes lumières, ajoutent de la matière, bref, donnent une « âme particulière » à ce qui est représenté. Cela semble être un jaillissement venant de l’intérieur de l’image, comme quelque chose de lumineux et qui serait vraiment propre à leur savoir-faire. Confirmez-vous cette impression ? Est-ce pour cela que vous les avez choisis ou sur d’autres critères ?
PLO : Tout simplement, la matitude du papier des tirages Fresson collait impeccablement au côté non - clinquant de mes photos. Je veux être sans effets ( " les effets, ça fait de l'effet " disait Gauguin ) , et ainsi on a une image directe et évidente .
Boja - Californie 1974
PhP : Quand tu commandes un tirage à l’Atelier, es-tu attaché au respect des couleurs de ton original, ou laisses-tu Michel ou Jean-François interpréter au mieux en fonction des possibilités du procédé ?
PLO : J'aime tellement leurs tirages que je ne donne aucune indication : ce sont des artistes et je n' ai pas à leur dire ce que je veux : en un demi-siècle, on a jamais eu à refaire un tirage !
Maintenant c'est pareil avec Jean François, et mes négatifs qui ont dû remplacer les si bonnes vieilles diapos.
Leur " interprétation " me plait toujours.
Quand je reçois un paquet de chez eux, j’arrête tout ce que je fais, et j'ouvre doucement pour sortir les tirages calmement un par un. C'est le plus immense plaisir que je peux obtenir, l'arrivée des tirages Fresson ! (Comme j'ai quitté Paris pour le Sud, ils me les envoient).
Palais de la Lumière - La Ciotat 2011
DC : A travers les différents témoignages relatés dans la presse suite à son décès, Michel Fresson, objet de cet hommage, avait une personnalité attachante. Nous sentons bien que de votre côté, le courant passait très fort entre lui et vous, presque un dialogue sans parole. Pour l’avoir côtoyé de si près sur cette longue période (plus de 30 ans ?), ainsi que son père Pierre, son fils Jean-François et les autres membres de sa famille, pour la postérité, qu’aimeriez-vous ajouter ? Quels traits, quelles anecdotes souhaiteriez-vous mentionner ?
PLO : L'humour, je le dis sans hésiter ! Les 3 générations.
Pour parler français, ce sont des gens " à qui on ne la fait pas ! "
Pas de cinoche, Pierre, puis Michel, avec leur petit sourire, savaient gérer toutes les situations. Aussi, leur clairvoyance faisait qu’ils pouvaient même te dire quelle photo " irait "ou " n’irait pas " !
Taos - Nouveau Mexique 1978
PhP : Bernard, tu utilises un Nikkormat depuis 40 ans. Quand tu pars en reportage pour une longue période, emportes-tu plusieurs boitiers?, d’autres focales que le 50mm ? Combien de films consommes-tu en moyenne par jour de reportage ?
PLO : Oui autrefois, j'avais souvent 2 boitiers Nikkormats ! et même avant 1975, un 24mm et un télé !
Au début, jeune, j'ai eu Rétinette et un Retina Kodak, puis l'expédition dans la jungle du Chaipas m' a offert un Pentax Honeywell, et je photographiais les bêtes sauvages avec un télé Soligor de 450mm qui ouvrait à 8 ! Pas facile avec la pluie qui ne s'arrêtait jamais !
Puis dès que j'ai eu mon premier Nikkormat, et les autres pas chers, je n'ai eu que ça, - il m'en reste 4, dont toujours le premier.
Maintenant je n’en prends qu’un et j'improvise couleur ou noir et blanc ; il est très rare que j'en prenne 2 ! Sauf si je sens que c'est nécessaire pour le boulot !
Si je pars une semaine, je prends une trentaine de films N et B, et une douzaine de couleurs.
Aussi comme j'ai eu pas mal de commandes d'architecture il y a une vingtaine d'années, je doublais au panoramique dont les tirages étaient en miniature (à bas la grandiloquence !!! )
C’étaient des petits Prestinox Panorama en plastique, " pour enfants ", quoi ! Absolument jamais eu besoin d'appareils chers. Jamais eu de Leica; ce n'est pas l'appareil qui sent et prend la photo, c'est le photographe, son œil, son corps !!!
Image extraite d'un film
PhP : Dans un débat à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, il est dit que tu as illustré environ 150 livres, peux-tu le confirmer ?
PLO : Oui j'en fais beaucoup, c’est la forme de communication de mes photos que je préfère.
Les titres comptent beaucoup. Ils disent déjà le sujet. Deux sortes, ceux faits " pour moi " : " le voyage mexicain ", " avant l’aube ", " Chronique du retour " etc , et ceux de commandes : " Paris de paysages " , " Le Havre en noir et blanc " , " Route nationale 1 " , auxquels je dois apporter la même rigueur car il y a un client qui attend .
Je ne les ai jamais comptés ! Il y en a des belges, grecs, italiens, portugais, mexicains, américains, espagnols, qui sont peu connus en France ..... Des tas de formats différents aussi !
Mes deux maitres sont Corot et Balzac, qui n'arrêtaient pas de créer et de produire !
J’en ai encore plein en cours, et en tête !
118 couvertures de livres en vente dans les bonne librairies et en occasion sur le net
DC : Dans ce débat sur la Marche, j’ai extrait ces quelques phrases :
• La marche est une forme de dépouillement en fragilité (en référence à David Lebreton)
• Elle implique d’abord le corps humain avec le poids du silence.
• Elle est un voyage réel et mémoriel : parfois des millions d’années, … de Buffalo Bill à l’automobile !
• On marche pour découvrir, ... le hasard … et au bout l'émerveillement !
• Le hasard … mélange de sagesse et de délire ; faire une image c’est être engagé ; il n‘ y a pas de poésie sans engagement. Réaliser une image, c’est être engagé !
• Edouard Boubat - mon Maître : un marcheur « d'émerveillement »
• Marcher c’est aussi tracer, creuser (à la peine) des sentiers : « je vénère les hommes qui font des sentiers… C’est à eux que je dédie toute mon œuvre ! »
• Marcher pour rejoindre les siens : La clé du bonheur, c‘est aimer ses enfants.
Auriez-vous quelques choses à amender ou à compléter ? Nous sentons bien pour vous que la marche n’est pas qu’une simple activité anodine : Votre rencontre avec les Fresson relève t’elle également de l’esprit de la Marche ?
Grand Canyon - Hommage à Cartier Bresson - Bernard Plossu photographié par Daniel Zolinsky
PLO : Rien à ajouter ! Un photographe qui cherche le hasard est automatiquement un marcheur ! Sinon il ne ferait pas de photos! et aussi c'est un curieux, donc peut aller un peu partout, (être) disponible.
Faire des photos est une rencontre du délire, clic très rapide, avec la sagesse, beaucoup de concentration.
Techniquement, mon appareil est toujours réglé et il est rare que je sois surpris : il faut être prêt très très vite ! Je change automatiquement ma lumière ou ma vitesse sans arrêt en fonction de la journée qui change tout le temps, y compris de nuit.
Milan - 2008
PhP : Dans tes interviews, tu parles souvent de l’influence du cinéma sur ton travail, et de photographes comme Henri Cartier-Bresson, Edouard Boubat, peux-tu développer ?
PLO : J’ai appris la photographie en allant tout le temps, jeune, à la Cinémathèque : Ordet de Dreyer, Bunuel, Bergman, Robert Bresson, Mizoguchi: tout est dit ! Sobre toujours !
Et aussi la Nouvelle Vague bien sûr, et ado, les westerns qui m’ont donné envie de filer dans l' Ouest Américain pour de vrai !
A lire : " Le journal du regard " de Bernard Noel, " Le regard pensif " de Régis Durand," Notes sur le cinématographe " de Robert Bresson.
J’aime trop de photographes pour les citer tous, mais j’ai toujours adoré la modestie brillement intelligente de Boubat, de Strand et de Sudel, et j'aime Eric Dessert, Françoise Nunez, Luis Baylon, Max Pam, Claude Iverné.
Ile de Limosa - Italie - 2004
PhP : Sur quels thèmes ou sujets travailles-tu en ce moment ?
PLO : Ce sera une surprise !