Raymond D. vu par Denis C.
L’œuvre de Raymond Depardon que je connaissais mal est immense.
On vient de m’offrir le livre sur “La France de Raymond Depardon”, une bonne porte d’entrée pour m’y plonger.
Reporter dans l’âme, à la différence de l’artiste photographe qui cherche à restituer une émotion, quitte à prendre un peu de distance ou de liberté avec la réalité en occultant du champ par exemple une touche disgracieuse, ou un plan qui fâche, Depardon photographie ce qu’il voit ... en l’état.
Les images ici sont belles, plastiques ; la technique à la chambre grand format couleur, difficile à maitriser, n’est pas des plus commodes car il faut s’installer sans discrétion possible, demander la permission et expliquer. Toutes les vues de notre beau pays qu’il nous montre sont assez décapantes, voire décevantes, loin de ce qu’on peut voir dans les dépliants touristiques ; y aurait-il plusieurs vérités ... ou plusieurs France?
Au lecteur de répondre.
Je note même une certaine pointe d’humour un peu aigre noir à la Guy Bedos ; ainsi pour preuve l’homme assis sur une chaise dans l’encadrement de sa porte d’une maison d’une pauvreté absolue dans un site insipide aux couleurs à faire fuir. Mais combien cet homme est-il touchant dans ce dépouillement. Autre exemple, celui des deux places de parking encadrant une rue donnant sur une mer, barrée par deux sens interdits! Double punition pour les malheureux handicapés fantômes qui auraient l’audace de venir se poser, interdits de plage. Malgré la bonne intention, les places réservées ne servent visiblement à rien! En témoin d’une époque, on y découvre ici un humaniste qui aime raconter l’histoire des gens ... par leur absence, ... sans trop les montrer ... ou alors très pudiquement, ... juste ce qu’il faut.
Coffret : La France de Raymond Depardon
J’y découvre un homme sensible, indépendant et un peu bourru peut-être, d’une grande délicatesse, qui surtout ne veut pas tricher avec la vérité. A ce titre, il rejoint les grands reporters de la photographie cités sur Wikipédia à son nom. Hommage justifié!
Pour les jeunes en recherche de vocation, il leur faudrait retenir que cet homme s’est construit à la force des poignets en commençant par des petits boulots, fidèle à son étoile : l’image et sa puissance d’évocation avec certainement beaucoup de travail, sans doute de la chance et du talent, donnant largement de sa personne.
Un peu sur un autre registre, on peut le voir comme un condisciple de notre Philippe Bouvard national. Cela force le respect.
Pour conclure, je retiens une leçon de fidélité envers lui et envers ses partenaires, dans la durée car le projet s’est étalé sur une année; on peut y voir un également pour lui un pèlerinage comme sur les chemins de St Jacques de Compostelle , ou même une retraite en photographe ermite dont le journal de bord serait en images, des images qui incitent à la confiance et qui émeuvent de par leurs témoignages ... tout en silence! (même regard, avec le même équipement _objectif et cadrage, émulsions, mêmes conditions opératoires sur pied ; la seule variable est ce que regarde l’objectif, ce que regarde en fait Depardon et ce qu’il veut nous montrer... sans fioriture : les images de Raymond Depardon sont vraies, et pour notre temps, cela n’a pas de prix.
Denis Carel
Colmar ©Raymond Depardon - La France