Prend ta paye et va à la pêche! (7)
Histoire d'une expatriation
Par Gérard Petiot
Septième épisode:
PREND TA PAYE ET VA À LA PÊCHE !
Bon, en fin de compte, ça s'est plutôt bien passé si je mets à part le salaire médiocre qui m'avait été attribué puisque que je n'avais pas de diplôme ou de BTS à mettre sur la table pour prétendre à une meilleure « catégorie ». Nous étions dans un système administratif où tout est très compartimenté. Dans le privé, on négocie un salaire en fonction du savoir-faire qu'on apporte et de ce qu'on est en mesure de produire et de rapporter à l'entreprise; dans l'administration, le recruteur se réfère à des textes immuables, point.
Bon, je ne vous apprend rien.
Enfin bref, la qualité de vie sur place était plutôt bonne (exception faite du paludisme, de l'hépatite virale, des cobras dans les salles de bain, des mygales et scorpions dans les godasses) et l'accueil de la part de l'ensemble des chercheurs et techniciens français fût très positif. Vivre et travailler à Adiopodoumé était un privilège dans un certain sens.
Niveau intellectuel de qualité, vie sociale riche et agréable. Des weekends d'enfer à la chasse au perdreau avec mon épagneul Breton dans la savane ou au canard siffleur dans les rizières du pays Sénoufo, la paillote au bord de la mer, le canoé kayak pour se balader en lagune, la pêche en mer, etc. Et pour occuper les loisirs à la maison, j'avais été guidé par un copain vers le radio-amateurisme (voir le film « Si tous les gars du monde ». de Christian Jacques): http://fr.wikipedia.org/wiki/Si_tous_les_gars_du_monde_%28film%29
C'est là aussi que j'ai commencé à m'intéresser à la culture des orchidées épiphytes.
A un moment, même, un aventurier de passage sur un vieux voilier de 12 mètres en bois et devant rentrer précipitamment en France, nous a (quelques copains) confié le soin de son bateau. Il l'avait entré en lagune Ébriée jusqu'à Adiopodoumé et ne parvenait pas à l'en sortir. C'était un quillard et ça talonnait dur dans la gadoue du fond de la lagune. Alors on s'est fait quelques petites ballades quand la marée nous apportait un peu d'eau mais même à plusieurs, nous n'avions pas les moyens financiers pour le mener jusqu'au port et le mettre en carénage. Il en avait pourtant besoin. Les tarets se sont chargé de le détruire sous nos yeux. Le propriétaire n'a jamais plus donné de ses nouvelles. Pas beau à voir l'agonie d'un beau voilier.
Petit détail clanique:
En RCI à cette époque, il y avait deux catégories de Français:
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Ceux du privé, employés ou entrepreneurs, forestiers, industriels, commerçants, etc.
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Et ceux de la « coopération », des Instituts de recherche, de l'enseignement, universitaires, etc. Je ne parle pas des diplomates d'ambassades, toujours à part du reste.
Les premiers en général avaient une vie dure mais se faisaient beaucoup d'argent, c'était l'époque du « Boum Ivoirien ». Le badaboum viendra plus tard...
Les seconds étaient mal payés mais avaient des privilèges que n'avaient pas les premiers, comme par exemple la voiture hors taxe, sous plaque TT. Ce qui les rendait visibles de loin, puisque la plaque d'immatriculation était en lettres rouges sur fond blanc.
Si bien que les premiers avaient affublé les seconds de l'appellation « Cul blanc ».
Je me suis donc trouvé du côté des « culs blancs ».
Ce qui ne m'a pas empêché d'avoir de bons amis dans l'autre camp, en particulier en devenant membre de l'Amicale Bretonne de Côte d'Ivoire (je ne suis pas Breton mais ce n'est pas grave) où l'ambiance était fort sympathique, avec plage privée, bar, rally auto rigolo, soirées dansantes, tout était bon pour se faire plaisir.
Ma position professionnelle à l'ORSTOM avait ceci d'intéressant que tout le monde avait besoin de moi. Ainsi j'ai été en contact avec des chercheurs et techniciens de tout poil, de toutes disciplines, et je devais pour bien collaborer avec eux commencer par comprendre ce qu'ils voulaient voir et/ou montrer sur des photographies. C'était très enrichissant.
J'ai été amené à mettre au point des techniques d'éclairage et à créer des bricolages adaptés aux besoins spécifiques de chacun.
Ainsi j'ai pratiqué la macro et la micro-photographie, la reproduction de documents, la photographie aérienne, le reportage sur le terrain ou en mer avec des océanographes, j'ai illustré des thèses, des ouvrages scientifiques, etc. cela me fait repenser qu'entre autres, j'ai illustré la thèse d'un botaniste Ivoirien qui quelques temps plus tard est devenu ministre de la recherche scientifique. Je ne sais pas ce qu'il est devenu dans ce magnifique pays déchiré par l'inconsistance des princes qui le gouvernent.
Ce qui était aussi très agréable, c'est que mon temps était partagé entre le travail de terrain et le travail de laboratoire. Mon travail au labo consistait à traiter ce que j'avais fait en brousse; je travaillais sur mes propres photographies. Ça c'était nouveau pour moi, en comparaison avec ce que j'avais fait à Paris.
J'adorais ces missions lointaines en brousse avec des agronomes, botanistes, géologues, pédologues, géographes, hydrologues, entomologistes, phytopathologistes, généticiens, etc. Il y avait toujours une grande part d'aventure et de découverte.
Et j'ai ainsi observé deux aspects différents dans mon travail:
Je pouvais avoir à réaliser des images à usage purement scientifiques ou bien des images destinées à la vulgarisation, pour des expositions grand publique par exemple. C'était très difficile pour les chercheurs de se mettre au niveau des béotiens pour à l'occasion leur expliquer leur travail. Je m'y suis collé avec succès, puisque me trouvant dans le camp béotien, je savais ce qu'il fallait montrer pour que cela soit compréhensible et comment retenir l'oeil du visiteur ou du lecteur sans lui tartiner des pavés de texte indigeste.
Une image vaut dix mille mots, n'est-ce pas? Et comme mes images de cette époque, je ne les ai pas sous la main, je tartine... alors de temps en temps buvez un petit coup de bicarbonate pour faire passer. Désolé.
Bien entendu, rien n'est parfait, et si l'administration avait accepté l'idée de recruter un photographe, elle avait un peu oublié qu'il lui fallait du matériel pour travailler. En particulier pour la prise de vue!
Le labo de traitement noir et blanc, lui, était doté d'un minimum vital de matos modeste mais de bonne qualité. C'était très à la mode à cette époque où tout un chacun était photographe amateur. Pour la couleur, je faisais traiter en ville, c'était onéreux pour des résultats décevants.
Mais hélas, point de matériel de prise de vues et pas de budget prévu à cette fin. Un oubli administratif.
Un « appareil photo » ? Mais c'était un luxe inouï et onéreux, un jouet, un hobby... on n'était pas sur la même longueur d'onde.
Si bien que j'ai travaillé pendant les trois premières années avec mon matériel personnel car je n'avais pas d'autre choix pour répondre à la demande des chercheurs. Ça n'était pas prévu dans mon contrat. Et je n'avais qu'un équipement 24x36.
Alors quand un géographe m'a demandé des reproductions sans distorsions de grandes cartes bourrées de détails très fins je me suis trouvé un peu embarrassé avec mon 24x36; de même quand on m'a demandé des photographies aériennes en fausses couleurs au dessus des plantations de palmiers à huile, d'hévéa et autres plantes à destinations industrielles.
Pour la micro-photographie, c'était bien pourvu parce que les labos de recherche utilisant des microscopes les avaient équipées d'accessoires photographiques dédiés. Mais ils ne savaient pas s'en servir, et moi, j'adorais ce genre de travail. J'ai ainsi étalonné les microscopes et enseigné aux utilisateurs quelques astuces.
Des photographies aériennes, on en avait besoin... mais il n'y avait pas de budget pour louer un avion! Alors Etienne B. un copain agronome et pilote amateur m'embarquait dans un petit biplace et on se faisait de sympathiques missions aériennes à nos risques et périls. On démontait la portière côté co-pilote pour avoir une vue bien dégagée et sans plexiglas. Vus du ciel les petits villages de cases rondes ressemblaient à des agrégats de champignons mignons comme tout, et quand on survolait une longue distance au-dessus de la dense forêt tropicale entre Abidjan et San Pedro, on appelait ça « le persil ». Là-bas, les petits avions emportaient obligatoirement une longue corde destinée en cas d'atterrissage forcé sur la canopée à descendre jusqu'au sol si on était sain et sauf. Mais ceux à qui c'est arrivé ne sont pas venu le raconter et les avions rarement retrouvés.
Je me suis pris des pieds d'enfer à faire ces photos aériennes! J'ai même goûté à l'hélicoptère, et ça c'est le top pour s'éclater. On était jeunes et on aimait notre boulot à la folie.
Et un jour, mon copain Etienne, un type adorable, est allé en vacances pour se marier et n'est jamais revenu. Il aimait à faire du vélo et une voiture l'a percuté par l'arrière, tout bêtement, sur une belle route de France. Salut Etienne, tu vois, je ne t'ai pas oublié.
Pour les chercheurs de l'ORSTOM, j'étais un magicien qui devait savoir tout faire avec rien.
J'ai donc commencé par faire des demandes de budget pour l'acquisition d'un moyen format, d'un banc de reproduction (j'avais le local tout prêt) et pour du matériel de prise de vue aérienne, j'ai rêvé et bavé sur les catalogues Aéro-Technica pendant des années.
Chaque année, il y avait une assemblée générale des chefs de labo pour discuter du budget.
Chaque année je réitérais mes demandes non honorées faute de crédits l'année précédente.
Frustration.
Et puis un jour, l'agent administratif et financier avec qui je discutais sur le sujet m'a dit:
« Gérard, arrête de nous bassiner avec tes demandes de matériel. Tu n'as pas compris ce que nous faisons ici? Alors prend ton salaire et va à la pêche, profite mon vieux».
Profiter, oui, merci, pourquoi pas, mais mon salaire n'avait guère évolué et le changement de catégorie auquel j'aurais pu avoir droit après trois ans de service ne venait pas et on m'a expliqué des histoires de pyramide bloquée, de crise, etc. (Oui, à cette époque aussi il y avait « la crise » puis on oubliait et la crise revenait, et ainsi de suite, en fait on est toujours en crise, non?).
Et les années ont passé ainsi en bricolage jusqu'au jour où on nous annoncé que l'ORSTOM de RCI allait progressivement se rapatrier en France et fermer certains centres « Outre-mer ». Pour un Centre de Recherches Scientifiques et Technique Outre-Mer, ça la foutait mal!
On m'a alors proposé un poste au laboratoire central de Bondy (entre les Forges de Vulcain et le Canal de l'Ourcq me disait un collègue qui connaissait l'endroit) pour y créer un laboratoire de photo télé-détection.
Faut voir me dis-je...
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A suivre dans le huitième épisode: LE CŒUR DE JADE