Le SEL sur les routes ...
.... par Daniel Rocher
Je n’ai fait qu’une saison hivernale au nord-est du département de l’Essonne.
Deux axes routiers prioritaires :
- la R.N. 6 depuis Villeneuve Saint Georges jusqu’à Lieusaint, dont une grande partie en forêt de Sénart, environ 10 km
- la R.N. 7 depuis son passage sous l’aéroport d’Orly jusqu’à Ris-Orangis, environ 6 km,
Ces deux voies supportaient en 1985 un flux journalier moyen de 51 000 et 70 000 véhicules par jour. Il était donc impensable de paralyser ce trafic. A ces deux axes s’ajoutait une centaine de kilomètres de voies secondaires.
A notre disposition :
- un P.L.* 19 tonnes équipé d’une trémie de 8 tonnes de sel et d’une lame de 3,20 mètres,
- un P.L. 12 tonnes équipé d’une trémie de 4 tonnes de sel et d’une lame de 3,20 mètre,
- huit agents de travaux, dont quatre d’astreinte jour/nuit,
- un stock permanent de 40 tonnes de potasse* (sel de mine) et un chargeur.
Lors d’une rapide formation, deux principes ont retenu toute mon attention :
- privilégier le traitement préventif,
- utiliser la circulation comme engin de déneigement.
L’année 1985 a débuté avec une grande offensive de l’hiver. Lorsque je suis rentré de mes congés de fin d’année, j’ai été désagréablement surpris d’apprendre que mon collègue avait consommé 85 tonnes de sel en un week-end. Et le résultat n’était pas reluisant car non seulement les routes étaient encore recouvertes de neige pilée, mais de nombreuses voitures s’étaient retrouvées au fossé.
Je vous donne volontiers la recette de ce qu’il faut faire :
- d’abord une surveillance de l’évolution de la météo, surtout en cas d’alerte neige, en liaison avec météo-France et la gendarmerie,
- ensuite, dès que le sol commence à blanchir, répandre une dose minimum de sel (15 à 18 g/m²) le plus rapidement possible. La neige fraichement tombée fond facilement car elle est moins froide au début de la précipitation. De plus, la couche de neige fondue, transformée en eau salée, empêche la suite de la précipitation de coller au revêtement,
- tant que la circulation n’atteint pas un flot suffisant, éjecter la neige sur le côté dès qu’elle atteint une épaisseur importante. Chaque coup de lame laissera sa petite dose d’eau salée. Au besoin, entretenir cette couche liquide en répandant 15 à 18 g de sel/m².
- Ne pas trop prendre en considération la limitation de vitesse à 40 km/h imposée aux camions de déneigement avec pneus cloutés et lame.
- En attendant, traiter de la même manière le réseau secondaire.
- Laisser la circulation, y compris les poids lourds, éjecter la neige sur les accotements.
- Cette technique est valable pour lutter contre le verglas.
- L’utilisation de saumure, mélange d’eau et de sel, permet de traiter une route sèche sous circulation.
Consommation sur l’ensemble du réseau pour une chute continue de 25 cm de neige : à peine 15 tonnes de sel, c'est-à-dire 5 à 6 fois moins. Economie de tôlerie également car la route reste beaucoup moins glissante (attention ! on ne fait pas de miracles). Economie de kilomètres des véhicules, d’heures d’agent et de temps perdu par les standardistes de la DDE à répondre aux usagers en colère.
Le plus grave, à mon avis, ce sont les effets très malsains sur l’environnement. Et c’est pour cette raison qu’il est question dans certains départements de restreindre le salage des routes au maximum. Cela se fait dans les villages en Haute-Savoie depuis quelques décennies, souvent à la demande des usagers eux-mêmes qui ont réappris à rouler sur la neige.
En prenant conscience de l’impact du salage sur l’environnement, je pense que nous allons enfin dans le bon sens.
· Potasse = chlorure de potassium, ou sel de mine, moins cher et plus efficace que le sel de mer à basse température. Très performant pour la corrosion des voitures et pour la pollution des cours d’eau.
© Philippe Pons