Rosine au Maroc...
En sortant de l’école j’avais été recrutée par une maison de disque qui créait un studio pour réaliser les photos des artistes, mais l’aventure Pathé-Marconi a tourné court assez rapidement, j’étouffais un peu avec des horaires, un patron, beaucoup de labo, c’était pas mon histoire.
Je bricolais en indépendante pour quelques clients. Je venais de terminer une saison de prise de vue pour un éditeur de cartes postales. J’avais arpenté les plages du Cotentin avec ma chambre Calumet, mes chassis 4x5 inch, mon pied Gitzo et mon voile noir le tout entassé sur une charrette, je crois même que j’avais un tabouret calé par dessus, mon harnachement brinqueballait quand je roulais sur le sable, assez folklorique mais rentable. La saison finie je travaillais un peu pour un décorateur et j’avais transformé une pièce de mon appartement en labo ou je faisais mes tirages Noir et Blanc, ma hantise c’était le glaçage, j’ai tout essayé sans succès, il y avait toujours une bulle. J’y passais des nuits.
Un jour j’étais au labo, je reçois un coup de fil d’un copain qui cherchait un photographe pour partir au Maroc. Je n’ai pas réagi tout de suite, non je ne voyais pas qui pourrait être intéressé, je suis retourné à mon travail un peu fastidieux et puis l’information est arrivée jusqu’à mon cerveau, j’ai immédiatement rappelé pour dire que si,si, je connaissais un photographe et que c’était moi.
J’ai rencontré le patron, un drôle de zèbre, qui n’ayant pas eu d’autres candidatures, à accepté à contre-cœur d’embaucher une femme.
C’est ainsi que j’ai débarqué à Rabat au Maroc en novembre 1969.
Les Studios du Souissi, anciens studios de cinéma, fournissaient à l’ O.C.E. (Office Chérifien d’exportation) tous les agrandissements qui décoraient les stands du Maroc sur les foires internationales. J’étais chargée de réaliser les photos. Je devais donc courir le pays pour trouver les plus beaux produits que je photographiais dans les plus beau palais. C’était le rêve absolu et avec cette carte de visite les portes des palais s’ouvraient.
Le quartier du Souissi à Rabat était le quartier des ambassades et nous étions logés dans des bungalows construits au milieu d’une orangeraie. Imaginez la petite parisienne qui quitte sa grisaille pour arriver en plein soleil au mois de novembre au milieu des orangers en fleurs !!!!! C’est inoubliable.
Alors le patron pouvait bien être odieux et il ne se gênait pas, avant de rentrer dans son bureau, je passais mes mains dans une haie de romarin et ce parfum me rendait insensible à son mépris et à ses reproches. Décidément une femme photographe c’était pas son truc. Enfin j’étais là et faute de mieux, je faisais le travail .
J’ai couru le Maroc en quête de scènes typiques, de beaux paysages,
des meilleurs artisans, de belles usines aussi bien sûr,
idéal pour découvrir un pays.
Et puis est arrivé un grand type, photographe, beau garçon, né au Maroc et rentré en France à la fin du protectorat, parlant arabe.
Il était là pour s’occuper du labo.
Nous avons très vite fait équipe et un peu plus.
Chaque week-end nous partions avec sa 2CV pour des aventures que je n’aurais pas pu faire seule.
C’est ainsi que nous avons vécu le moussem des fiancés
à Imilchil dans le sud du Maroc.
Un moussem c’est à la fois une fête religieuse et une grande foire. A Imilchil ça se passe fin septembre,au milieu de nulle part à 2000 m d’altitude, dans le petit village d'Aït Ameur, à une vingtaine de kilomètres d'Imilchil, chez les ait Hadidoud, tribu berbère du haut atlas central marocain. C’est l'occasion pour toutes les tribus berbères de se retrouver avant la période des neiges qui les coupera du reste du monde, des mois durant. Les femmes choisissent parmi les célibataires ceux qui deviendront leurs maris pour une année (si mésentente conjugale il y a) ou pour toute la vie.
Pour l’accueil des quelques touristes, c’était assez sommaire : de grandes tentes, installées par l’armé, les toilettes dans la nature et la « salle de bain » à la rivière, mais la table était inoubliable, ah ce méchoui mes amis !!!!!!!!
En peu de jours, une ville de tentes se monte. On y trouve tout ce dont une famille peut avoir besoin, le couturier, l’arracheur de dents, les médecines traditionnelles, le bijoutier, le forgeron, sans oublier la foire aux bêtes ; et puis les fiancées, parées de leurs plus beaux vêtements et bijoux, les jeunes filles avec leur coiffe ronde et les coiffes en pointe pour celles se sont déjà mariées mais qui reviennent pour trouver un meilleur parti, ce qui donne lieu à des palabres sans fin. Quand l’homme arrive à convaincre la femme elle s’assoit par terre et le mariage est enregistré jusqu’à la prochaine fois si l’union n’a pas été heureuse.
« Depuis 2003, le Festival de la musique des cimes d’Imilchil célèbre le patrimoine culturel des populations des montagnes ». Selon les organisateurs, cet événement a été créé dans le but de « défolkloriser » le moussem d’Imilchil et de donner un nouveau souffle à la région. J’imagine les cars de touristes et les jeunes filles parées monnayant leur image ….dommage.
Tout roulait, jusqu’au jour ou j’ai reçu ma lettre de licenciement. Christian, le grand type responsable du labo devenu mon compagnon était nommé à ma place, petit pied de nez du destin, il était temps de rentrer en France à contre-cœur.
Les photos réalisées au cours de mes ballades, m’ont ouvert les portes d’une agence, mais les clients ne se précipitaient pas, il fallait gagner leur confiance.
Là, j’ai connu quelques années de galère. Heureusement, l’édition marchait bien, Larousse publiait des fascicules sur la France toutes les semaines ce qui donnait du travail à plein de photographes. Petit à petit, j’ai gagné mes galons de photographe illustrateur.
Je suis souvent retournée au Maroc par la suite et à chaque fois j’ai retrouvé les émerveillements de ce premier séjour, les odeurs, la foule bruyante, les balek, balek des livreurs avec leurs ânes pour se frayer un passage dans les ruelles de la médina et l’appel du muezzin à la prière à la tombée du jour.
© Rosine Mazin , photos et texte.
Les nouvelles aventures de Rosine ...à suivre...