LE CŒUR DE JADE, deuxième suite.(11)
Histoire d'une expatriation
par Gérard Petiot
Onzième épisode: LE CŒUR DE JADE,suite
Plus j'écris plus les souvenirs reviennent et dans le désordre, alors j'ai failli oublier ce qui suit concernant mes activités.
Min était très occupée avec la cuisine, mais moi, j'avais du temps de libre, si bien que...
Je ne me limitais pas à cultiver quelques orchidées pour décorer le restaurant.
Sollicité par plusieurs amies, et quelques clientes qui voulaient que je leur transmette mon savoir faire en "orchidophilie", j'en vînt à donner des cours théoriques, pratiques et payants à ces dames qui possédaient de grands jardins où vivotaient quelques maigrichonnes plantes sans fleurs. Quand elles avaient acquis de bonnes bases, elles étaient très impatientes de démarrer leurs collections personnelles, alors je faisais venir des jeunes plantes de chez Marcel Lecoufle (que Rosine connais bien) que je leur revendais avec les conseils de culture appropriés, ainsi que des engrais, et autres produits et accessoires d'entretien. Tout le monde fût satisfait. Une de ces dames, ma meilleure élève aux doigts verts m'a écrit pendant plusieurs années après notre départ pour me donner des nouvelles détaillées de ses plantes.
J'ajoutais donc quelques expédients à notre petit commerce.
Mais depuis que j'avais quitté l'Orstom, je ne pouvais plus cotiser à la sécu, la retraite, etc. Il y a bien eu des propositions de « rachat des points de retraite » mais c'était trop élevé pour mon budget du moment, priorité était donnée à la scolarité des enfants qui se faisait dans le privé (la scolarité). Donc j'ai laissé filer... Pour la maladie, nous cotisions à une assurance privée.
Cet état de fait aura des conséquences sévères plus tard, évidemment.
On ne peut passer sous silence le fait que les Français expatriés, sont souvent moins bien chouchoutés par nos instances sociales françaises que beaucoup d'étrangers en France. Notre ami Guy de Brisbane peut vous le confirmer.
Autre remarque: les enfants nés en France acquièrent la nationalité française automatiquement, quelle que soit la nationalité des parents. A votre avis, amis lecteurs, croyez-vous que la nationalité Ivoirienne ait été offerte à mon fils né en RCI? Non, bien sûr. Pensez-vous qu'il a des droits dans ce pays? Aucun.
Il n'y a donc pas de réciprocité et c'est bien regrettable. Les pays qui viennent pondre chez nous ne nous renvoient pas l'ascenseur. La France est un nid de coucou.
A ce point de mon discours, je m'autocensure et je la boucle parce que sinon je me fais du mal et tout le monde rigole.-
Qu'est-ce que j'ai encore fait d'autre comme métier pendant les six années de vie du restaurant?
Ah! Oui... en mai 1980 un de mes clients, représentant une agence de presse sur place, sachant que j'avais été photographe dans une vie antérieure - ce qui ne le gênais pas pour venir dîner chez nous - m'a chargé de faire un reportage sur le Pape venu consacrer la nouvelle cathédrale d'Abidjan (estimées à 6 milliards de Francs CFA). Il avait un photographe journaliste qui venait de France, mais il voulait une doublure au cas où. J'ai accepté mais je n'étais pas du tout équipé pour ce boulot et ce n'était pas ma spécialité. J'y suis allé quand même, plutôt par curiosité et aussi pour me frotter avec de vrais journalistes. Je fis un bide, par manque de rapidité. Le collègue de l'agence s'était installé dans un hôtel et avait apporté un kit pour transformer la salle de bain en mini labo, avec cuves, rideau noir, etc... pour l'eau à 20 degrés, il a demandé des glaçons au « room service ».
Pendant l'arrivée du Pape à la cathédrale, il a su saisir un formidable instantané d'un jeune africain qui s'est jeté à genoux devant le Pape en écartant ses bras en croix. Le photographe a senti qu'il avait le scoop, il a quitté la cérémonie, est rentré à son hôtel, a développé son film vite fait et l'a envoyé par courrier express à Paris. Il a fait la couverture de grands magazines... pendant ce temps là les autres journalistes et moi-même étions restés à accumuler des images d'une banalité déconcertante de la longue cérémonie; tellement longue qu'à un moment donné le Pape est allé faire une petite sieste dans une chambre climatisée pour se requinquer. Faut dire que les fringues d'un Pape ne sont pas très adaptées au climat tropical. Quant à moi, j'ai attendu le lendemain que mes diapos sortent du labo Agfa local... et je suis arrivé après la bataille, je m'y attendais donc je n'ai pas ressenti de frustration, et pour ma culture personnelle, j'ai pu assister à une cérémonie assez rare et très ennuyeuse, comme toutes les cérémonies d'ailleurs.
Et pour quel résultat...
Voyez ces liens:
http://news.abidjan.net/article/?n=345005
http://fr.wikipedia.org/wiki/Cathédrale_Saint-Paul_d%27Abidjan
Alors bon, tout ça fait qu'on ne s'ennuyait pas à Abidjan. Les affaires ronronnaient, le soleil brillait, la mer était pleine de poissons et de langoustes, les plages s'étendaient à l'infini sur toute la côte sud du pays et les années ont passé.
Et le journal local Fraternité Matin faisait tout pour nous distraire. Les mots sont traitres, et ce journal avait l'art des lapsus, des coquilles, des jeux de mots involontaires. Les gros titres étaient parfois réjouissants, ainsi quand ce journal a annoncé l'embauche pour la première fois de personnel féminin dans des stations service en ces termes:
« Pour la première fois à Abidjan, enfin des pompeuses dans les stations services ».
Éclat de rire général!
On allait certainement faire la pige aux Californiens avec leurs laveuses de voitures en bikini, peut-être?
Mais un beau matin, en plein milieu de la saison sèche on a moins rigolé, le journal nous livrait une information navrante et particulièrement grave et ce n'était pas un poisson d'avril:
« Le barrage de Kossou est vide »
http://fr.wikipedia.org/wiki/Barrage_de_Kossou
Paf! Comme ça, un peu comme quand ton cuisinier te dit à l'heure du dîner quand les magasins sont fermés « patron, y en a plus le sel» ce qui était une spécialité des employés de maison, qu'on appelait autrement mais on n'a plus le droit de le dire...
Bon, alors que croyez-vous qu'il arriva?
Vous le saurez dans le douzième épisode: LA CONJONCTURE
Avant de vous relater la suite qui ne prête pas à rire,
une dernière blague de là-bas.
Au milieu d'un carrefour important d'Abidjan, un agent de la circulation en pleine action. Il écarte ses bras terminés par d'élégants gants blancs pour arrêter le flot de voitures, mais un français s'engage malgré tout sur le carrefour. Le policier furieux le siffle, l'arrête et lui demande:
« Hè! le toubabou là! C'est quoi même? Vous me voyez pas là? Quand je suis comme ça avec mes bras là, je suis de quelle couleur? »
et l'autre andouille, pris de court lui répond hésitant...
« Ben monsieur l'agent, vous êtes noir »
et le flic:
« Ah! Vraiment en tout cas, vous vous foutez de moi hein? Je vais vous verbaliser bien bon même; vous connais pas le code hein? Mais quand je suis comme ça devant vous (les bras en croix) je suis ROUGE! »
Et tournant d'un quart de tour:
« Et comme ça je suis VERT! Bon allez, quittez là! ».