Le coeur de Jade (9)
Histoire d'une expatriation
par Gérard Petiot
Neuvième épisode: LE CŒUR DE JADE
Min était bien connue des amis pour la qualité et l'originalité de sa cuisine Chinoise et Indonésienne. L'idée, lancée par un copain, a donc fait son chemin et nous avons alors décidé d'ouvrir un restaurant Chinois avec Min en chef de cuisine et moi en maître d'hôtel gestionnaire.
Il y avait à Abidjan pléthore de restaurants Vietnamiens (ex boat people réfugiés) assez médiocres mais pas de vrai restaurant Chinois (c'est pas pareil) de qualité. Et j'avais découvert à Singapour quelques temps auparavant deux spécialités Chinoises étonnantes, conviviales et qui n'existaient pas à Abidjan: La Fondue Chinoise (le Ta Ping Lô, la bataille autour du feu) et les Dim Sum
(cuisine à la vapeur).
Tant qu'à nous lancer dans une telle aventure, autant y mettre du bon goût, de la classe et des nouveautés. Il y avait à Abidjan une belle clientèle potentielle lasse des gargotes vietnamiennes et de plats gluants farcis de glutamate et de maïzena.
Un de nos amis français, horticulteur ayant réussi au delà de toute espérance et donc de bon conseil en business nous signala un nouveau quartier résidentiel en construction où il n'y avait pour le moment qu'un super-marché, quelques boutiques modernes, une banque, un commissariat de police et pas de restaurant du tout. Ce quartier avait été baptisé Cocody les deux plateaux.
Le western! Nous serions le premier restaurant de ce nouveau quartier, tout proche du vieux Cocody où résidait le gratin friqué franco-ivoirien.
Alors j'ai fait venir de France mes modestes économies et ouvert un compte commercial dans une banque.
Là-bas, la plupart des restaurants à part ceux du centre ville (Le Plateau) faisaient commerce dans une villa de location, après quelques transformations. Les loyers étaient chers.
Nous avions juste de quoi payer trois mois de loyer pour une grande villa qui offrirait la place pour nous loger et une salle suffisamment spacieuse pour y recevoir une quarantaine de couverts. Cuisine à aménager et à étendre sur une terrasse latérale bien ventilée. Nous trouvâmes ce qu'il nous fallait. La propriétaire était une Française veuve d'un Ivoirien et la villa était trop grande pour elle. Elle fût enchantée de notre projet qui allait ajouter un peu de valeur à sa propriété.
La banque nous a suivi et accordé un découvert pour les débuts. Des amis commerçants nous ont ouvert des petits crédits pour les approvisionnements et surtout les équipements.
Parce qu'à cette époque, c'était « le boom Ivoirien », les affaires battaient leur plein, les forestiers, les planteurs, les industriels, les commerçants, étaient aisés et confiants. La solidarité était de mise entre entrepreneurs. Tout le monde signait des « bons » à tout le monde et on payait plus tard.
Une amie décoratrice nous a proposé ses services, elle est montée à Paris avec un petit budget et en est revenue avec de belles idées et des accessoires de rêve. Ce ne serait pas un sinistre bistrot plein de lanternes rouges et d'éventails géants, elle nous promettait du zen, de la lumière douce, un immense panneau mural en store clair orné d'une fresque Chinoise très poétique, des tentures légères assorties aux lampadaires.
Ces derniers furent montés sur des poteries en forme de bambou crées spécialement pour nous par un Français qui enseignait la poterie à de jeunes Ivoiriens sur la route de grand-Bassam. Dans le même coin vers Grand-Bassam, qui était le quartier des artisans, nous fîmes confectionner des chaises et des fauteuils en rotin légers et confortables. La grande salle fût meublée de petites tables carrées le long des murs latéraux pour les tête à tête et au centre de la salle des grandes tables rondes pour les groupes venus faire la fête autour d'une fondue Chinoise.
Un copain Italien, menuisier, m'a aidé à construire une immense table de travail en bois plein et dur pour la cuisine. Le bois là-bas était bon marché et de qualité et mon pote le roi de la varlope et moi j'ai quelques notions de menuiserie.
A nous deux, nous avons construit ce plan de travail « fait pour durer » très lourd.
Je salue ici les amis (toujours présents dans mon carnet d'adresse) qui m'ont fourni le matos de cuisine et les premiers stocks de consommables, en me disant « tu paieras plus tard Gérard, ça va démarrer fort, on connait la cuisine de Min, on sera là pour l'ouverture, on va faire la claque... »
J'ai commandé à Paris de superbes marmites à fondue Chinoise en cuivre étamé, joliment martelées et sur place à Abidjan, nous avons trouvé dans un grand comptoir un stock de belle vaisselle Chinoise en porcelaine. Pas question de servir les V.I.P. d'Abidjan dans du plastique, la concurrence s'en chargeait.
http://www.meilleurduchef.com/cgi/mdc/l/fr/boutique/produits/bck-marmite_fondue_chinoise.html
C'est ainsi qu'est né Le Cœur de Jade, rue des Jardins à Cocody les deux plateaux.
Voilà, je ne serais plus « cul blanc ».
Que je vous décrive ce restaurant pas comme les autres; si, si vous allez voir.
Sur la rue des Jardins, un long mur blanc percé d'un large portail à deux battants en bois et bambou surmonté d'un toit de feuilles de palmiers. Le trottoir face au mur transformé en parking réservé à la clientèle.
Peint sur la longueur du mur, « Le Coeur de Jade ».
On entrait dans le jardin entourant la villa sur les quatre côtés. Toute la partie frontale du jardin était semée en gazon japonais très court, de deux ou trois petits palmiers et d'une touffe de bambous avec quelques rocailles; le passage vers le restaurant était guidé par des dalles en bois aux formes arrondies.
Sur le côté gauche de la maison et dissimulé par une haie j'avais construit une ombrière faite de poteaux cylindriques obtenus gratos dans une usine de déroulage de contreplaqué (ils jettent le cœur du tronc aux environ de 15 cm de diamètre), de quelques madriers et cette pergola fût recouverte d'un filet horticole filtrant la lumière. Ça, c'était pour disposer en permanence d'une collection d'orchidées destinées à la décoration intérieure du restaurant.
Donc on traversait les pieds au sec sur les dalles le petit bout de jardin et on arrivait devant un bassin artificiel que j'avais construit et dans lequel on tenait vivantes des écrevisses de lagune destinées à passer à la casserole. Je vous conterai plus tard comment je me procurais ces écrevisses.
A gauche du bassin, le bureau des patrons, à droite du bassin une grande pièce accessible par l'intérieur et qui servira de salle de stockage et de rangement provisoire. On longeait le bassin et on accèdait à une large double porte donnant sur une première pièce meublée de fauteuils en rotins qui sera un salon-bar-accueil et même plus comme vous aller le découvrir tout à l'heure. La double porte resterait toujours ouverte pendant le service, cette pièce n'étant pas climatisée mais en semi plein-air puisqu'elle donnait au fond sur un patio sans toit, ce qui créait une excellent ventilation, n'oublions pas le climat chaud et humide! Et justement ce patio lumineux mais ombragé était l'endroit rêvé pour y présenter mes orchidées en fleurs... mais pas des fleurs coupées hein, des plantes vivantes installées gracieusement sur de magnifiques pièces de bois flotté; quel meilleur accueil pour la clientèle?
Pause-anecdote: Un soir une cliente regardant les fleurs s'est écriée:
« Oh! Elles sont tellement belles que l'on dirait des fleurs artificielles »…
Si elle n'était pas venue avec une demi-douzaine de bons et fidèles clients je l'aurais volontiers virée et puis le client est roi, n'est-ce pas? Même s'il est le roi des andouilles on la boucle et on encaisse.
Bon alors donc on traversait le petit patio fleuri et on arrivait à une belle et lourde porte en bois massif qui donne sur la grande salle climatisée du restaurant. Et là, une surprise étonnante attendait le client.
A droite de la porte j'avais placé un cendrier accompagné d'une petite pancarte:
Dernier cendrier avant la salle à manger.
Ouh! Là, là, N'oublions pas que nous étions en 1980. Il fallait oser.
Je crois pouvoir dire avec fierté qu'en ce domaine, j'ai été un précurseur.
Mais j'avais la parade, j'annonçais que le salon-bar qu'ils venaient de traverser était aussi le salon-fumoir.
Et les non fumeurs étaient ravis, eux qui étaient écoeurés par les horribles odeurs de tabacs refroidis et mélangés aux odeurs de cuisine dégagés par tous les climatiseurs des restaurants de la ville.
Pour sûr, je me suis fait incendier, on m'a dit que j'étais suicidaire, etc. Il n'en fût rien, la nouvelle a vite fait le tour d'Abidjan et ce fût positif.
Je suis resté sourd aux critiques et campé sur mes positions. Et quand un client en fin de repas me demandait gentiment et poliment s'il pouvait fumer, je lui proposais un digestif offert s'il passait au salon-fumoir. Fallait donner un peu de mou quand-même.
Il y en a eu un qui passait outre mais il me demandait quand-même avant et non seulement c'était un client très régulier qui venait se régaler avec sa doudou, mais surtout il était ministre, et quand il sortait son gros cigare à la fin du repas, je fermais les yeux d'autant plus qu'il avait la décence de venir tard et de fumer quand presque tous les clients étaient en fin de repas. Et puis à Abidjan en ce temps là, on ne faisait pas palabre avec un ministre Ivoirien...
J'ai eu des cas extrêmes, je me souviens d'une Française qui tenait ses baguettes dans la main droite et la cigarette dans la main gauche, car elle clopait tout en mangeant. Son mari ne savait pas où se fourrer, car elle était agressive et « faisait bruit » comme on dit là-bas. Chaud l'affaire.
Je recevais toujours les clients dans le salon et les escortais jusqu'à la salle.
Un soir, je vois arriver le consul de France, c'était un mec pas sympa; il venait pour la première fois; Il était seul. Il ne répond pas à mon bonsoir, je lui montre la direction de la salle et il fonce droit devant d'un air martial sans même poser un oeil sur les orchidées... ça je n'aimait pas du tout! Arrivé devant la petite pancarte, il se retourne et me lance l'air mauvais: « qu'est-ce que ça veut dire? » je lui répond « ça dit que vous pourrez dîner dans une atmosphère propre et agréable ».
Il a grogné, fait demi-tour et s'est barré ce qui était une bonne chose.
Ce genre de client fût rare, je crois même pouvoir dire que des inconnus venus d'abord en clients sont par la suite devenus des supporters inconditionnels voire des amis.
Pendant que je m'appuyais l'accueil et le service en salle avec deux serveurs Ivoiriens, Min œuvrait en cuisine avec une fameuse équipe de dix Burkinabés (ex Haute Volta) qu'elle avait formés et initiés à la fabrication des dim sum qui arrivaient sur les tables dans des petits paniers de bambou tout fumants. Un employé était chargé de l'astiquage des marmites à fondue, c'était un boulot dur et rébarbatif mais ce gars y excellait. Tout était bien organisé, chacun avait sa tâche.
Bien entendu, les débuts furent balbutiants, nous étions autodidactes en ce domaine, mais nous avions observé toutes les erreurs fréquemment commises dans d'autres restaurants et nous nous sommes attachés à ne pas les répéter, ce qui nous fît progresser rapidement. Et les amis qui passaient avaient pour rôle de nous faire part de leurs observations sans complaisance.
L'un d'eux, Jean-Claude C. maintenant à la retraite en Vendée et avec qui je « chat » de temps en temps défendait le camp des fumeurs avec virulence mais il est quand même resté un de mes meilleurs amis pour toujours avec son épouse Evelyne qui ne nous faisait pas de cadeau non plus, mais c'était pour notre bien. Leurs remarques et conseils concernant le service, la cuisine, et surtout les vins nous ont beaucoup servis.
J'ai encore beaucoup à vous relater sur cette période courte mais intense
de ma vie d'expatrié.
Alors si vous le voulez bien,
à suivre la suite du "Coeur de Jade"dans un dixième épisode.
Gérard Petiot
par Gérard Petiot
Neuvième épisode: LE CŒUR DE JADE
Min était bien connue des amis pour la qualité et l'originalité de sa cuisine Chinoise et Indonésienne. L'idée, lancée par un copain, a donc fait son chemin et nous avons alors décidé d'ouvrir un restaurant Chinois avec Min en chef de cuisine et moi en maître d'hôtel gestionnaire.
Il y avait à Abidjan pléthore de restaurants Vietnamiens (ex boat people réfugiés) assez médiocres mais pas de vrai restaurant Chinois (c'est pas pareil) de qualité. Et j'avais découvert à Singapour quelques temps auparavant deux spécialités Chinoises étonnantes, conviviales et qui n'existaient pas à Abidjan: La Fondue Chinoise (le Ta Ping Lô, la bataille autour du feu) et les Dim Sum
(cuisine à la vapeur).
Tant qu'à nous lancer dans une telle aventure, autant y mettre du bon goût, de la classe et des nouveautés. Il y avait à Abidjan une belle clientèle potentielle lasse des gargotes vietnamiennes et de plats gluants farcis de glutamate et de maïzena.
Un de nos amis français, horticulteur ayant réussi au delà de toute espérance et donc de bon conseil en business nous signala un nouveau quartier résidentiel en construction où il n'y avait pour le moment qu'un super-marché, quelques boutiques modernes, une banque, un commissariat de police et pas de restaurant du tout. Ce quartier avait été baptisé Cocody les deux plateaux.
Le western! Nous serions le premier restaurant de ce nouveau quartier, tout proche du vieux Cocody où résidait le gratin friqué franco-ivoirien.
Alors j'ai fait venir de France mes modestes économies et ouvert un compte commercial dans une banque.
Là-bas, la plupart des restaurants à part ceux du centre ville (Le Plateau) faisaient commerce dans une villa de location, après quelques transformations. Les loyers étaient chers.
Nous avions juste de quoi payer trois mois de loyer pour une grande villa qui offrirait la place pour nous loger et une salle suffisamment spacieuse pour y recevoir une quarantaine de couverts. Cuisine à aménager et à étendre sur une terrasse latérale bien ventilée. Nous trouvâmes ce qu'il nous fallait. La propriétaire était une Française veuve d'un Ivoirien et la villa était trop grande pour elle. Elle fût enchantée de notre projet qui allait ajouter un peu de valeur à sa propriété.
La banque nous a suivi et accordé un découvert pour les débuts. Des amis commerçants nous ont ouvert des petits crédits pour les approvisionnements et surtout les équipements.
Parce qu'à cette époque, c'était « le boom Ivoirien », les affaires battaient leur plein, les forestiers, les planteurs, les industriels, les commerçants, étaient aisés et confiants. La solidarité était de mise entre entrepreneurs. Tout le monde signait des « bons » à tout le monde et on payait plus tard.
Une amie décoratrice nous a proposé ses services, elle est montée à Paris avec un petit budget et en est revenue avec de belles idées et des accessoires de rêve. Ce ne serait pas un sinistre bistrot plein de lanternes rouges et d'éventails géants, elle nous promettait du zen, de la lumière douce, un immense panneau mural en store clair orné d'une fresque Chinoise très poétique, des tentures légères assorties aux lampadaires.
Ces derniers furent montés sur des poteries en forme de bambou crées spécialement pour nous par un Français qui enseignait la poterie à de jeunes Ivoiriens sur la route de grand-Bassam. Dans le même coin vers Grand-Bassam, qui était le quartier des artisans, nous fîmes confectionner des chaises et des fauteuils en rotin légers et confortables. La grande salle fût meublée de petites tables carrées le long des murs latéraux pour les tête à tête et au centre de la salle des grandes tables rondes pour les groupes venus faire la fête autour d'une fondue Chinoise.
Un copain Italien, menuisier, m'a aidé à construire une immense table de travail en bois plein et dur pour la cuisine. Le bois là-bas était bon marché et de qualité et mon pote le roi de la varlope et moi j'ai quelques notions de menuiserie.
A nous deux, nous avons construit ce plan de travail « fait pour durer » très lourd.
Je salue ici les amis (toujours présents dans mon carnet d'adresse) qui m'ont fourni le matos de cuisine et les premiers stocks de consommables, en me disant « tu paieras plus tard Gérard, ça va démarrer fort, on connait la cuisine de Min, on sera là pour l'ouverture, on va faire la claque... »
J'ai commandé à Paris de superbes marmites à fondue Chinoise en cuivre étamé, joliment martelées et sur place à Abidjan, nous avons trouvé dans un grand comptoir un stock de belle vaisselle Chinoise en porcelaine. Pas question de servir les V.I.P. d'Abidjan dans du plastique, la concurrence s'en chargeait.
http://www.meilleurduchef.com/cgi/mdc/l/fr/boutique/produits/bck-marmite_fondue_chinoise.html
C'est ainsi qu'est né Le Cœur de Jade, rue des Jardins à Cocody les deux plateaux.
Voilà, je ne serais plus « cul blanc ».
Que je vous décrive ce restaurant pas comme les autres; si, si vous allez voir.
Sur la rue des Jardins, un long mur blanc percé d'un large portail à deux battants en bois et bambou surmonté d'un toit de feuilles de palmiers. Le trottoir face au mur transformé en parking réservé à la clientèle.
Peint sur la longueur du mur, « Le Coeur de Jade ».
On entrait dans le jardin entourant la villa sur les quatre côtés. Toute la partie frontale du jardin était semée en gazon japonais très court, de deux ou trois petits palmiers et d'une touffe de bambous avec quelques rocailles; le passage vers le restaurant était guidé par des dalles en bois aux formes arrondies.
Sur le côté gauche de la maison et dissimulé par une haie j'avais construit une ombrière faite de poteaux cylindriques obtenus gratos dans une usine de déroulage de contreplaqué (ils jettent le cœur du tronc aux environ de 15 cm de diamètre), de quelques madriers et cette pergola fût recouverte d'un filet horticole filtrant la lumière. Ça, c'était pour disposer en permanence d'une collection d'orchidées destinées à la décoration intérieure du restaurant.
Donc on traversait les pieds au sec sur les dalles le petit bout de jardin et on arrivait devant un bassin artificiel que j'avais construit et dans lequel on tenait vivantes des écrevisses de lagune destinées à passer à la casserole. Je vous conterai plus tard comment je me procurais ces écrevisses.
A gauche du bassin, le bureau des patrons, à droite du bassin une grande pièce accessible par l'intérieur et qui servira de salle de stockage et de rangement provisoire. On longeait le bassin et on accèdait à une large double porte donnant sur une première pièce meublée de fauteuils en rotins qui sera un salon-bar-accueil et même plus comme vous aller le découvrir tout à l'heure. La double porte resterait toujours ouverte pendant le service, cette pièce n'étant pas climatisée mais en semi plein-air puisqu'elle donnait au fond sur un patio sans toit, ce qui créait une excellent ventilation, n'oublions pas le climat chaud et humide! Et justement ce patio lumineux mais ombragé était l'endroit rêvé pour y présenter mes orchidées en fleurs... mais pas des fleurs coupées hein, des plantes vivantes installées gracieusement sur de magnifiques pièces de bois flotté; quel meilleur accueil pour la clientèle?
Pause-anecdote: Un soir une cliente regardant les fleurs s'est écriée:
« Oh! Elles sont tellement belles que l'on dirait des fleurs artificielles »…
Si elle n'était pas venue avec une demi-douzaine de bons et fidèles clients je l'aurais volontiers virée et puis le client est roi, n'est-ce pas? Même s'il est le roi des andouilles on la boucle et on encaisse.
Bon alors donc on traversait le petit patio fleuri et on arrivait à une belle et lourde porte en bois massif qui donne sur la grande salle climatisée du restaurant. Et là, une surprise étonnante attendait le client.
A droite de la porte j'avais placé un cendrier accompagné d'une petite pancarte:
Dernier cendrier avant la salle à manger.
Ouh! Là, là, N'oublions pas que nous étions en 1980. Il fallait oser.
Je crois pouvoir dire avec fierté qu'en ce domaine, j'ai été un précurseur.
Mais j'avais la parade, j'annonçais que le salon-bar qu'ils venaient de traverser était aussi le salon-fumoir.
Et les non fumeurs étaient ravis, eux qui étaient écoeurés par les horribles odeurs de tabacs refroidis et mélangés aux odeurs de cuisine dégagés par tous les climatiseurs des restaurants de la ville.
Pour sûr, je me suis fait incendier, on m'a dit que j'étais suicidaire, etc. Il n'en fût rien, la nouvelle a vite fait le tour d'Abidjan et ce fût positif.
Je suis resté sourd aux critiques et campé sur mes positions. Et quand un client en fin de repas me demandait gentiment et poliment s'il pouvait fumer, je lui proposais un digestif offert s'il passait au salon-fumoir. Fallait donner un peu de mou quand-même.
Il y en a eu un qui passait outre mais il me demandait quand-même avant et non seulement c'était un client très régulier qui venait se régaler avec sa doudou, mais surtout il était ministre, et quand il sortait son gros cigare à la fin du repas, je fermais les yeux d'autant plus qu'il avait la décence de venir tard et de fumer quand presque tous les clients étaient en fin de repas. Et puis à Abidjan en ce temps là, on ne faisait pas palabre avec un ministre Ivoirien...
J'ai eu des cas extrêmes, je me souviens d'une Française qui tenait ses baguettes dans la main droite et la cigarette dans la main gauche, car elle clopait tout en mangeant. Son mari ne savait pas où se fourrer, car elle était agressive et « faisait bruit » comme on dit là-bas. Chaud l'affaire.
Je recevais toujours les clients dans le salon et les escortais jusqu'à la salle.
Un soir, je vois arriver le consul de France, c'était un mec pas sympa; il venait pour la première fois; Il était seul. Il ne répond pas à mon bonsoir, je lui montre la direction de la salle et il fonce droit devant d'un air martial sans même poser un oeil sur les orchidées... ça je n'aimait pas du tout! Arrivé devant la petite pancarte, il se retourne et me lance l'air mauvais: « qu'est-ce que ça veut dire? » je lui répond « ça dit que vous pourrez dîner dans une atmosphère propre et agréable ».
Il a grogné, fait demi-tour et s'est barré ce qui était une bonne chose.
Ce genre de client fût rare, je crois même pouvoir dire que des inconnus venus d'abord en clients sont par la suite devenus des supporters inconditionnels voire des amis.
Pendant que je m'appuyais l'accueil et le service en salle avec deux serveurs Ivoiriens, Min œuvrait en cuisine avec une fameuse équipe de dix Burkinabés (ex Haute Volta) qu'elle avait formés et initiés à la fabrication des dim sum qui arrivaient sur les tables dans des petits paniers de bambou tout fumants. Un employé était chargé de l'astiquage des marmites à fondue, c'était un boulot dur et rébarbatif mais ce gars y excellait. Tout était bien organisé, chacun avait sa tâche.
Bien entendu, les débuts furent balbutiants, nous étions autodidactes en ce domaine, mais nous avions observé toutes les erreurs fréquemment commises dans d'autres restaurants et nous nous sommes attachés à ne pas les répéter, ce qui nous fît progresser rapidement. Et les amis qui passaient avaient pour rôle de nous faire part de leurs observations sans complaisance.
L'un d'eux, Jean-Claude C. maintenant à la retraite en Vendée et avec qui je « chat » de temps en temps défendait le camp des fumeurs avec virulence mais il est quand même resté un de mes meilleurs amis pour toujours avec son épouse Evelyne qui ne nous faisait pas de cadeau non plus, mais c'était pour notre bien. Leurs remarques et conseils concernant le service, la cuisine, et surtout les vins nous ont beaucoup servis.
J'ai encore beaucoup à vous relater sur cette période courte mais intense
de ma vie d'expatrié.
Alors si vous le voulez bien,
à suivre la suite du "Coeur de Jade"dans un dixième épisode.
Gérard Petiot