La maison au fond des bois (chapitre 15)
Par Gérard Petiot
Quinzième épisode : LA MAISON AU FOND DES BOIS
On répond à une annonce pour une Renault 4 à vendre d’occasion et pas cher, en effet elle en est à son troisième propriétaire.
Au Kenya, parmi les expatriés de toutes origines on vit d’occasion, ceux qui partent définitivement revendent tout leur barda à ceux qui arrivent. Il est très fréquent de voir des yard sale, expression anglaise signifiant que l’on peut venir chiner tout ce qu’un expatriat leaving met en vente dans son garage ou sa cour : meubles, voitures, bibelots, vaisselle, livres, linge de maison, tout un fourbi quoi, même les animaux domestiques. C'est l'équivalent du vide-grenier mais on y trouve autre chose que des reliques. C’était intéressant à l’époque puisque les magasins de biens d’équipement étaient rares, sans choix et horriblement chers.
Alors on roulait sur ce que les ambassades, nations unies, délégations et entreprises privées faisaient venir par conteneurs pour leurs fonctionnaires et directeurs d’entreprises.
La voiture semble en bon état, elle a trois ans, elle est toute rouge, le prix nous convient, on la prend. Une bonne affaire, puisque Min s’en est servi pendant tout notre séjour là-bas, c’est à dire vingt-deux ans et quelques mois en plus de ses trois ans quand on l’a prise.
Avec la petite R4 rouge de Min, plus tard, on a fait des safaris du tonnerre, Masai Mara, Samburu, Monts Aberdares (jusqu’à 3000 m d’altitude dans le moorland), à trois, avec tout le matos de camping. Je n’hésite pas à dire que cette petite R4L faisait merveille sur les mauvaises routes et pistes africaines. On en avait beaucoup à l’ORSTOM en Côte d’Ivoire et c’est là que je l’avais découverte. En outre légère, donc facile à désembourber et d’un entretien mécanique à la portée de tout bricoleur. Sa garde au sol aussi est appréciable, parfait pour l’Afrique si on n'a pas les moyens d'avoir un gros 4x4.
Mais toujours avec de très bons pneus. Important les pneus.
Pendant ce temps là, nos bagages arrivaient, quelques petites caisses en bois que Min a stockées dans les sous-sols de son laboratoire en attendant d’avoir un logement.
Et un jour, Min me dit que l’université lui a proposé un de ses appartements, et qu’on va aller le visiter. Il était situé dans un immeuble triste face aux logements des étudiants dans State House Road.
L’appartement était occupé.
Ah, ma doué !
Immeuble lépreux, escalier crado, pas de parking, pas d’ascenceur. On arrive devant la porte, on frappe, on nous ouvre et une odeur de pisse fétide et de graillon nous assaille. Un gamin morveux et sale accroché à la robe de sa mère nous regarde de ses grands yeux effarés. La visite a duré moins de trois minutes, juste le temps d’être polis. Quand on a vu l’état des lieux, le vieux mobilier déglingué, un canapé avec deux pieds d’un bout et calé à l’autre bout sur un vieux pneu, la cuisine maculée de crasse graisseuse, des bouts de chiffons accrochés devant les fenêtre, on en croyait pas nos yeux. Vision inoubliable.
La dame nous explique que l’université n’a pas les moyens de repeindre les murs ni changer les meubles. Ça promet.
On s’est tirés vite fait. Pas question d’emménager dans ce taudis. La fourniture d’un logement meublé était contractuelle en compensation d’un salaire très modeste, il faudra se bagarrer pour faire respecter le contrat.
Un peu de temps se passe pendant lequel nous avons retrouvé un couple d’américains rencontrés en Côte d’Ivoire; Lui est radio-amateur comme moi et à Abidjan, nous avions sympathisé.
Deux semaines plus tard, le miracle... On va visiter une maison libre.
Jules et sa femme nous accompagnent. Lui est très au fait des problèmes de sécurité, c’est son job là où il travaille. Ils habitent une superbe grande villa bardée de détecteurs et d’alarmes en tous genres.
Oui, je dis miracle, parce que la maison qu’on va visiter est située dans ... Arboretum Drive!
Souvenez-vous du chapitre treize, vous allez être surpris.
Le terrain est situé exactement là où j’avais pointé mon doigt en rêvant sur la carte quand nous étions encore à Abidjan !
On y va, et là, effectivement : un immense terrain de 200m de long et cinquante de large, peuplé d’arbres immenses, en pente, la route en haut et la rivière en bas. Au bord de la rivière des eucalyptus gigantesques. Ces eucalyptus j'y reviendrai, sont des arbres détestables.
Perchée dans le haut, un petit cottage très British, en pierres et avec des fenêtres à petits carreaux et des grilles à l’intérieur. La maison est encadrée par deux splendides ficus qui deviendront géants.
Mignon à voir de l’extérieur surtout grâce à son immense jardin, mais l’intérieur est petit et sombre, en partie à cause des arbres, avec une seule chambre et une toute petite pièce attenante pouvant juste recevoir un lit d’enfant; cuisine microscopique et pas du tout fonctionnelle, faite pour des Anglais d’antan qui dînaient souvent au club. La construction date de l’époque coloniale et avait été faite pour deux personnes sans enfant.
Dans le séjour, une cheminée, car le climat de Nairobi est frais le soir une bonne partie de l’année, ça c’est chouette parce que les maisons récemment construites n’ont pas de cheminée ! Et une petite flambée le soir... ça créé une chaleureuse ambiance.
La maison principale, terrasse d'entrée.
La maison principale côté jardin.
Dans le jardin se trouve un guest house (maison d’hôte) -photo ci-dessous- qui comporte une chambre, une salle de bain et une kitchenette. C’est très appréciable.
J’anticipe, pour signaler qu’à l’âge de douze ans, le fils établit ses quartiers dans cette agréable maisonnette et quand il nous eût quittés à 19 ans, j’en fît mon bureau/atelier photo. Situé à une distance de 7 mètres de la maison principale, quoi de mieux ? Juste un bout de gazon à traverser pour aller au boulot. Dans le haut du terrain, l’incontournable servant quarter. Cette maisonnette était destinée à l’origine à loger un ou une domestique. Nous occuperons une pièce pour du rangement et il restera de la place pour un gardien, indispensable là-bas.
Le guest house
Entre le portail et la maison, un espace immense pouvant recevoir plusieurs voitures... et même plus comme vous le verrez plus tard.
On trouve la maison vide de meubles, dans un état très rudimentaire, avec un beau tas de détritus au milieu du séjour et quelques trous dans la toiture. Entretien oublié depuis des années.
Jules émit des réserves quant à la sécurité et à la taille de la maison qui était vraiment petite pour sa vision américaine. En effet, pour la sécurité, il n’y avait pas de mur, seulement un grillage facile à découper et une vieille clôture de bambou pourri le long de la rue d’accès tout en haut.
Min et moi étions ravis par contre. Une vraie maison dans un immense parc, sous ce climat, c’est le rêve que j’avais fait depuis Abidjan qui se réalise...
Et puis on en a marre de l’hôtel, on prend, puisque de toutes façons il n’y a rien d’autre de disponible.
Et l’emplacement est parfait pour Min, à quelques minutes de son bureau. Et même, détail amusant, si on pouvait construire une passerelle de 10m de long en travers de la rivière, Min pourrait passer à pieds directement du jardin (on pourrait dire du parc) au campus de l’autre côté... Mais ce n'était pas une bonne idée au point de vue sécurité.
On va faire revivre cette pauvre maison abandonnée. On nous l’a laissée parce que l’université ne pouvait y loger un professeur kenyan, la coutume étant dans ce pays de faire une dizaine d’enfants par femme, il leur faut de grandes maisons.
L’université demande un loyer très modeste et s’engage à nous fournir des meubles a.s.a.p. ( as soon as possible ).
Après nettoyage et peintures, on emménage dès que l’administration nous a fourni des lits, une table en bois blanc et quatre chaises. Le parquet en bon bois dur a résisté aux années, on le fera poncer et vernir, il sera beau.
Au moment de repeindre la cuisine, première altercation avec un local. Le peintre, employé et envoyé par l’université, refusait de décrasser les murs de la cuisine dont la dernière couche de peinture datait de...? On connait pas. Il s’apprêtait à barbouiller la peinture par-dessus la graisse qui encrassait les murs. Alors j'ai fait le travail moi-même. Il n'y a pas plus têtu qu'un Kikouyou.
Pendant deux mois, on a attendu frigo et cuisinière et on cuisinait dans la cheminée, au feu de bois. Les caisses servaient de tables basses, en attendant. Comme rien n’est jamais venu pour la cuisine, on a acheté ce qu’il fallait d’occasion dans un yard sale. Par la suite, nous nous sommes meublés petit à petit au gré des ventes d’occasions pour remplacer les vilains meubles rudimentaires fournis parcimonieusement par l’administration.
Une famille Suisse quittant le pays nous a donné ses deux chiens, frère et soeur, Dago et Tina. Une bonne équipe ces deux là, de braves bâtards d’une fidélité merveilleuse, costauds rustiques et pas craintifs. Ils jouissaient d’un grand territoire et le protégeaient consciencieusement. Mais avant eux nous avons eu Athos qui a disparu peu de temps après son adoption.
"Bisou" de Tina à Dago
Nous voilà donc installés là où nous allons passer vingt deux ans de notre vie. Julien y fera toute sa scolarité. Pour Min ce sera recherche et enseignement et pour moi... eh bien vous avez vu comment ça se présente, il me reste à vous dire comment ça s’est passé.
Deux anecdotes ...
- Les squatters
Ils n’étaient pas là lors de notre première visite de la maison, mais dès le premier jour où nous avons commencé à apporter nos bagages, une demi douzaine de jeunes Kenyans étaient là, dans le jardin, vautrés sur le gazon juste devant l’entrée de la maison.
Je leur demande ce qu’ils font là, ils se présentent comme étant des étudiants sans logement et ils annoncent qu’ils occupent le servant quarter qu’ils avaient trouvé ouvert et libre. Ils avaient l’air très sûr d’eux, un poil arrogants, et manifestaient la volonté de rester là... Ils considéraient qu’il y avait suffisamment de place pour eux et nous dans la même cour.
La situation était délicate, un mot de travers et ça pouvait mal tourner. Mais il ne fallait surtout pas se montrer gentil ou conciliant, dans ces régions la gentillesse est considérée comme une faiblesse mais je crois avoir déjà exposé cette remarque.
Ils prenaient aussi un grand plaisir à bien observer ce que nous sortions de la voiture, ils nous regardaient vivre... ce qui était très désagréable. Je les ai priés de se retirer en expliquant que nous allions habiter là. Ils sont sortis, mais le lendemain matin, ils étaient revenus et cherchaient à s’imposer. Il nous a fallu alerter l’administration qui a envoyé des gardes pour les faire déguerpir.
...
- Le premier gardien
Dès qu’on a été installés, nous sommes allés voir un service de l’inspection du travail pour nous informer des conditions d’emploi d’un gardien de nuit.
On nous a remis un imprimé contenant les informations relatives aux employés de maison et donné quelques conseils utiles. Une dame très serviable nous a recommandé de la consulter en cas de problème.
Le tam-tam a fonctionné et des candidats se sont présentés. Nous avons engagé un gars sur sa bonne mine et muni d’une vague lettre de référence.
A cette époque, nous avions un énorme chien batardé de Danois, nommé Athos, très impressionnant et pas avare de sa grosse voix vis à vis des rôdeurs.
J’ai fait les présentations d’usage entre le gardien et le chien et ça s’est bien passé. Au bout de quelques jours le chien et le gardien étaient en confiance et faisaient équipe.
Une semaine et demie plus tard, un matin, on trouve la Renault 4 sans roues et proprement posée sur des briques...
On questionne le gardien, il n’a rien vu, rien entendu, et le chien est resté silencieux. Un gardien qui roupille ce n’était pas très surprenant. Mais que le chien n’ait pas aboyé est anormal.
Nous allons consulter l’inspectrice du travail et lui demandons conseil. Pour elle, c’est simple, le gardien est impliqué, a fait entrer des complices et tenu le chien tranquille pendant que les voleurs faisaient leur travail.
Elle nous déconseille de porter plainte à la police, ça ne servirait à rien. Par contre elle nous enjoint de virer le gardien immédiatement et sans indemnités. Je lui dit que sans preuves ce n’est pas très légal.
«- J’en ai par-dessus la tête de ces faux-types, dit-elle, ils sont des milliers à chercher du travail mais ne savent pas se comporter honnêtement, tant pis pour lui ». Après coup, des amis Français nous ont fait remarquer au vu des noms que l’inspectrice était de l’ethnie au pouvoir, contrairement au gardien...
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A suivre :
Prochain chapitre: AU CHARBON