Denis sur les traces de Josef ...
Josef Albers ??? KésaKo ? J'ai demandé à Denis de nous éclairer. PhP
Il me faut rester modeste à propos de l’œuvre de Josef Albers que je n’ai fait qu’effleurer.
Je l’ai découverte effectivement il y a une quinzaine d’années au travers d’une des cousines germaines de ma belle-mère qui était professeur de dessin à Nantes.
Elle avait fait les Beaux-Arts et la retraite venant, elle souhaitait faire le ménage dans sa bibliothèque.
J’ai pu ainsi bénéficier de deux ouvrages édités par Dessain et Tolra que je n’aurais certainement pas achetés car à cette époque, j’en ignorai l’existence.
Le premier concernait “ La Pensée Créatrice – l’Ecrit sur l’Art” issu des travaux de Paul Klee que je trouve assez touffu et indigeste. Il nécessite un vrai investissement personnel indispensable pour comprendre le cheminement de l’auteur qui mêle allègrement philosophie, mathématique, graphisme, architecture, anthropologie sensorielle et expression artistique. Son but est d’essayer d’établir à partir d’expériences généralement graphiques et de démonstrations à caractère mathématique une théorie ... quitte à perdre le lecteur en route ; je n’ai pas encore tout compris...
Ceci dit, l’ouvrage est intéressant pour les pistes de recherches et le panorama des thèmes abordés. Il donne surtout une idée de l’émulation bouillonnante au Bauhaus, un peu comme notre ambiance "intellecto artistique" de St Germain des Près avant-guerre en France, mais avec le côté systématique d’un esprit formé à l’école allemande.
C’est ma perception aujourd’hui mais elle peut évoluer car il me faudrait passer plus de temps pour mieux comprendre ce qui s’est passé au Bauhaus sur cette période, en particulier l’impact de la période sombre du nazisme qui a fait se radicaliser les choses avec pression sur les personnes et des départs aux USA. A creuser!
Le deuxième largement plus abordable était celui de sur Josef Abers par Eugen Gomringer, au moins pour un regard de photographe.
Ce qui m’a intéressé dans ce dernier ouvrage est la prise en compte et l’utilisation raisonnée systématique de la ligne graphique comme élément moteur de la perception sensorielle et intellectuelle de l’œuvre et de l’idée qu’elle véhicule. Bref, de sa compréhension ou de son rejet. Il s’agit essentiellement de la vue bien que le concept s’étende à l'Architecture et/ ou aux Arts décoratifs dans les développements domestiques, industriels ou urbains, dans des applications plus utilitaires qui concerne tout l’Homme.
Symétrie, dissymétrie de lignes ou objets en harmonies et plus généralement en opposition ; contrastes neutres ou colorés ; objets déstructurés etc... y sont étudiés dans cet esprit avec une volonté de simplification et d’économie de moyens.
Ce qui pouvait se faire par intuition, donc sans savoir pourquoi avec la faculté d’agir ultérieurement sur une expérience précise, est repris ici en recherche raisonnée : c’est essentiellement un travail de l’esprit.
Pour nous “Photographes” qui travaillons “sur le motif” avec nos appareils photo que ce soit en studio ou en reportage, avec des images souvent infiniment plus complexes à gérer qu’il faut accueillir comme telles, c’est à dire brutes de transfert même si nous essayons les construire au moins intuitivement au mieux à la prise de vue, notre direction est totalement opposée*.
C’est cette rencontre et l’interpénétration entre ces deux directions qui m’intéressent sachant que l’initiative au niveau applicatif est plus du côté des Arts Graphiques que du Photographe resté souvent en deuxième plan alors qu’il est le véhicule primaire de l’information.
L’accès facilité aux outils d’imagerie numériques dont une date symbolique est à rapprocher du lancement des premières versions de Photoshop facilite l’osmose et change la donne, et cela n’est plus vraiment nouveau ; cependant nous manquons toujours à mon sens d’une plateforme conceptuelle solide propre à l’image photographique pour en élargir le champ ou renforcer l’impact.
C’est cela qui mérite d’être creusé en jouant sur les lignes graphiques naturelles à l’image ou crées de toutes pièces, comme le laisse présager les travaux de J. Albers.
Le mieux est de le démonter sur des cas concrets : la première illustration un peu nostalgique ci-dessus, entre "Ombres fugitives & Lumières dans la brume hivernale d'un matin parisien" si je me souviens bien est pour moi un cas d'école, le regard par une suite d'alternances rythmiques colorées décrescendo devant obligatoirement se positionner en plan de fond sur le centre de l'image, avec un retour obligé hors du cadre vers le spectateur, via l'ombre du réverbère en contre point;
comme deuxième cas d’école limite, voici une autre image en perspective flottante au graphisme volontairement ambigu dont le premier et l’arrière-plan changent en fonction du parcours de la ligne graphique par l’œil. Attention aux migraines! Il y a d'autres pistes possibles en jouant en particulier sur le contenu des images pour lever l'ambigüité.
J'aurai sans doute l'occasion d'y revenir.
Denis Carel
(*NB. On retrouve une problématique similaire pour un architecte de paysage qui doit intégrer un bâtiment au sens large dans un cadre naturel ou urbain pré-existant).