Arthur Batut précurseur : le portrait-type (2)
© Arthur Batut
Portrait type de la famille Batut : son épouse, sa mère, sa belle mère et ses fils.
L’image de l’invisible
A partir d’un procédé imaginé par Francis GALTON, Arthur BATUT met au point une méthode opératoire pour créer une image composite provenant de multiples portraits individuels.
« Les portraits seront tous exécutés rigoureusement de face et présenteront des dimensions identiques… les épreuves seront soigneusement repérées en se basant sur les yeux et collées sur des cartons…Plus grand est le nombre des sujets moins se fait sentir l’influence individuelle et plus prennent d’importance les traits généraux. »
Portrait -type des charbonniers de la Montagne Noire . © Arthur Batut
Portrait-type obtenu avec les femmes de la Montagne Noire. © Arthur Batut
Le morphing par Batut
"Reproduire à l’aide de la photographie une figure dont la réalité matérielle n’existe nulle part, un être irréel dont les éléments constitutifs sont disséminés sur un certain nombre d’individus et qui ne peut être conçu que virtuellement, n’est ce point un rêve ? "
Portrait-type obtenu avec 10 jeunes filles d'Arles. © Arthur Batut
Portrait type obtenu avec 50 habitants de Labruguière. © Arthur Batut
Après des essais encourageants sur les villageois de Labruguière, Batut dresse le portrait-type de l’arlésienne, des femmes d’Agde, de Vich ou encore des habitants de Huesca. Il avait envisagé de retrouver le portrait-composite des rois de France, des pharaons d’Egypte et même des japonais. Bien des projets restent dans ses cartons faute de posséder les photographies des personnages. Déjà, à son époque, Arthur BATUT avait eu du mal à faire reconnaître son travail, autant sur l'aérophotographie que sur ce qu'il appelait "les images de l'invisible" et qui le fascinaient . Loin des intellectuels son travail amusait plus qu'il n'attisait la curiosité. Produire des "images floues" à une époque où le reproduction photographique permettait d'obtenir rapidement un portrait si ressemblant, n'était pas sans risque. Aujourd'hui pourtant les images virtuelles abondent.
Source texte et photos : Espace Batut
Livres : Le portrait-type ou images de l'invisible (SERAHL éditeur)
et
Regards d'un photographe humaniste (Editions Privat)
Le procédé,
expliqué par Arthur Batut
"Tout le monde sait que pour obtenir une image photographique, un certain temps est nécessaire. Ce temps varie suivant l'intensité de la lumière et la rapidité du procédé ; mais, la lumière et le procédé étant les mêmes, le temps nécessaire à l'obtention d'une épreuve le sera aussi.
Supposons que nous nous trouvions dans des conditions telles que 60s de pose nous soient nécessaires pour obtenir la reproduction d'un portrait carte de visite.
Si nous ne laissons poser que 3s, c'est-à-dire 1/20 de la pose normale, nous n'aurons pas trace d'image. Si donc nous faisons successivement poser devant l'objectif vingt portraits de la même grandeur, pendant 3s chacun, aucun des vingt portraits ne laissera de trace sur la plaque sensible. Mais il n'en sera pas de même pour les traits communs aux vingt portraits, ces traits communs ayant en se superposant posé, par le fait, pendant vingt fois 3s, c'est-à-dire 60s, temps normal de pose.
Nous aurons donc une épreuve où tous les accidents qui modifient le type de la race, où toutes les notes qui marquent l'individualité auront disparu et où seuls seront demeurés les caractères mystérieux qui forment le lien de la race. Ici ce n'est plus l'œuvre servile du copiste qu'accomplit la Photographie, c'est un merveilleux travail d'analyse et de synthèse.
Ce choix des grandes lignes, des traits fondamentaux qui caractérisent une race, nous le retrouvons à toutes les époques où l'art a été en honneur. Dans les hypogées de l'antique Égypte, ce n'est pas tel ou tel lion que l'on voit peint sur les parois, mais le lion dans toute la majesté des lignes sobres et immuables de sa race. Pourquoi la Vénus de Milo d'un côté, la Vierge du portail nord du transept de Notre Dame de Paris de l'autre, expriment-elles à un si haut degré, avec leur physionomie impersonnelle, l'une la beauté féminine grecque, l'autre la beauté féminine française au XIIIe siècle ? Uniquement parce que les grands artistes inconnus qui les taillèrent dans le marbre et la pierre, avaient exécuté dans leur esprit, en face des plus belles femmes de leur temps, le travail d'analyse et de synthèse que la Photographie. se charge d'accomplir pour nous.
Chose digne de remarque, le portrait type que l'on obtient par le procédé dont nous nous occupons est toujours plus beau qu'aucun de ceux qui ont servi à la former tout en conservant avec eux un frappant air de famille."
Arthur Batut cite en note (p. 8) un extrait du Scientific American du 5 septembre 1885 :
"Lorsqu'on, se trouve en présence d'une réunion d'hommes appartenant à une race différente de la nôtre, on parvient difficilement à les distinguer les uns des autres, parce qu'il se forme à notre insu, dans notre esprit, une sorte de portrait composé de cette race, qui nous voile les individualités. Même observation peut être faite au sujet des ressemblances de famille, plus frappantes pour les étrangers que pour les parents."
Arthur Batut, La Photographie appliquée à la production du type d'une famille, d'une tribu ou d'une race, Paris, Gauthier-Villars, 1887, p. 7-9.
En cherchant des documents pour réaliser cet article, j'ai trouvé sur le net un Studio Batut à New York. Première surprise... le photographe de ce studio Paul Vinet est un descendant d'Arthur Batut, seconde surprise il utilise le principe de Batut pour réaliser des portraits.
Il m'a autorisé à les publier sur notre blog. Grand merci.
Arthur Batut et Paul Vinet
Composite of Paul’s brother’s family (6 members) © Paul Vinet, Studio Batut