Adiopodoumé, en CODIVOIR (6)
Histoire d'une expatriation
Par Gérard Petiot
Sixième épisode:
ADIOPODOUMÉ, AU KILOMÈTRE 17 ROUTE DE DABOU,
JUSTE APRÈS LE VIRAGE DE LA MORT,
EN CODIVOIR.
Amis, me voici bien embarrassé par ce titre de chapitre lancé lors d'un trop plein d'enthousiasme plumitif. En effet, il est plutôt hors sujet et anecdotique puisque mon propos était au départ de vous relater le comment et le pourquoi de mes expatriations successives principalement les aspects professionnels liés ou non à la photographie,.
Alors brièvement: il est vrai que cette étape se situe à Adiopodoumé lieu-dit où était le Centre ORSTOM en RCI. Et ce Km17 auquel on arrivait avant d'entrer dans le centre de recherche était juste après deux virages en descente terriblement meurtriers, pas du fait de leurs courbes pas pires qu'ailleurs mais parce qu'il y passait une noria de camions dont les fameux grumiers, généralement en surcharge de poids et chaussés de pneus rechapés (il suffisait de graisser la patte au pesage). Et la spécialité des camionneurs Ivoiriens et Burkinabés était de descendre les virages en quatrième et au frein.
[Ce qui ravive mon souvenir d'un bref passage à Madagascar où j'ai remarqué que les chauffeurs de taxi, pour économiser le carburant coupent le moteur dans les descentes...]
Si bien que j'ai pu engranger dans mon Rollei bon nombre d'accidents à la fois meutriers et spectaculaires. Tous mes négatifs sont en France pour le moment, donc pas de photo pour le blog, sorry, et puis des alignements de macchabés et de la tôle en charpie sur le bords de routes, bof... on n'a pas besoin de ça dans notre blog.
Et cerise sur le gâteau, je mentionnerai les joyeux taxis-brousse dont certains ornaient le cul de leur véhicule de pensées philosophiques telles que « s'en fout la mort » ou des titres de films amerloques sauvagement chargés de bruit et de fureur.
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Si vous désirez voir plus de détails, vous pouvez utiliser les coordonnées GPS dans Google Earth visibles au bas de cette copie d'écran. Vous pouvez remarquer que l'ancien "virage de la mort semble avoir été redressé depuis, on voit nettement l'ancien tracé.
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C'est donc là que j'ai passé une bonne dizaine d'année comme photographe.
Le centre se déployait au coeur d'une belle forêt tropicale et bordé par la lagune Ebriée. Sur place, les laboratoires de recherche, l'administration, un hôtel restaurant pour les stagiaires, un garage, un atelier multi-services, les habitations pour les chercheurs et les techniciens français, une école primaire française pour nos petits et un club avec piscine et tennis, ainsi qu'un immense terrain agricole découpé en parcelles expérimentales.
Les objectifs scientifiques étaient orientés vers la biodiversité, l'écologie et la recherche agronomique. Nous étions entourés dans la région par un Institut Pasteur, un Centre Nestlé, des centres de recherche sur le cacao, l'hévéa, le palmier à huile, etc. En ville, près du port d'Abidjan, nous avions un Centre de recherche océanographique et son navire.
J'avais de quoi m'occuper.
Cette période fût pour moi le « pain blanc » dans mon métier. En effet, j'étais appelé à déployer les bases acquises à Vaugirard en me tenant à la disposition de chercheurs spécialisés dans toute une gamme de disciplines, de A pour Agronomie jusqu'à Z pour Zoologie, en passant par Mammalogie mais ce n'est pas ce que vous imaginez, you dirty minds.
Quoique... l'ambiance après mai 68 n'y était pas coincée du tout!
Je connaissais les lieux et les collègues avant d'y venir puisque j'y passais de temps en temps pendant mon séjour à Lamto (c.f. Épisode 4).
J'étais donc appelé à organiser et diriger un laboratoire photographique déjà existant mais sommairement équipé en matos amateur et tenu par deux techniciens Ivoiriens vaguement formés par un photographe amateur, français et nématologiste.
Par contre je disposais de locaux très spacieux, ce qui est rare: Un grand et clair bureau/salle de préparation des produits, pour trois personnes à l'aise, et cinq pièces parfaitement étanches à la lumière et dotées de paillasses, de robinets et de prises électriques; Soit une chambre de développement de films, une salle d'agrandissement petits formats, une autre salle que je destinai aux agrandissements géants et à la repro de documents une salle de lavage avec de grands bacs et un studio de prises de vues, principalement pour la macro-photographie. On entrait dans le bureau après avoir traversé une petite serre botanique.
L'administration m'a donc affublé du titre de « Chef de labo », ce qui dans un sens était une bonne idée afin que je puisse me faire respecter par le personnel local mais aussi par les utilisateurs de mes services. En voici un exemple:
Quand j'étais à Lamto, je savais que le premier truc du personnel local (on doit se familiariser avec cette expression, c'est le lot de tout expatrié, il y a les « expats » et les « locaux » et les statuts sont différents, ce n'est pas moi qui l'ai inventé), donc le premier truc des locaux est d'attribuer un surnom au nouvel arrivant expat, pour moi bien entendu ce fût « nez pointu ». C'est pas bien méchant tant que cela s'arrête là. On ne se privait pas de renvoyer le ballon. On pouvait remarquer cependant que les locaux (expression politiquement correct) ne se gênaient pas pour nous appeler « toubabou ou bla foué » c'est à dire « le blanc » qui n'est paraît-il pas politiquement incorrect...
Il faudrait qu'on m'explique.
Mais l'accueil que m'avait réservé les deux lascars - un Baoulé et un Bété - de mon labo était d'un autre esprit, voilà:
Il faut dire que j'étais plus jeune qu'eux et ils avaient l'impression que je venais manger dans leur gamelle. Ils m'ont laissé m'installer et entamer la réorganisation du labo (c'était un beau merdier et je suis plutôt maniaque). Et comme j'ai rapidement observé qu'ils étaient deux sacrés cossards, je leur ai demandé poliment de suivre mes instructions pour améliorer leur qualité de travail et de ne pas confondre chambres noires et salle de repos ; c'était climatisé, il y faisait bon et je les avais surpris en pleine sièste à toutes heures. Ça ne leur a pas plu et ils ont commencé à ruminer et à me faire la gueule encore plus qu'à mon arrivée. Je me proposais généreusement de leur enseigner le métier, mais ils s'en foutaient complètement, croyant déjà tout savoir et se croyant indéboulonables.
Quelques temps plus tard, je commence une séance d'agrandissements 18x24 en séries de 10 exemplaires; je fais des bouts d'essai, et je lance une série, donc je passe dix feuilles à l'agrandisseur et je les développe ensemble. Bizarre, certaines copies sont soit trop douces, soit trop dures. Je recommence tout, je change le révélateur, contrôle la température, soigne l'agitation dans le révélateur, etc. pareil. Ah! Les vaches. Avant de grimper aux crénaux, je fais des tests, quelques gammes de gris dans les boites ouvertes, dur, moyen, doux, etc... et je découvre que les papiers ont été mélangés. Ils ont voulu me tester, et pas de chance sont tombés sur un ancien élève de Monsieur Lécaille et des autres profs de Vaugirard que j'écoutais avec beaucoup de sérieux malgré les apparences.
Je ne vous raconte pas la séance d'explication. Hii! Mon vieux, en tout cas, je me suis vraiment fâché quoi. C'est ainsi que j'ai gagné mes galons de chef de labo, mais s'en est suivi une sorte de respect vaguement rancunier et de méfiance réciproque, le ton était donné, bonjour l'ambiance à venir.
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A suivre,
dans le septième épisode, sans titre pour le moment...