A la découverte de Vivian MAIER
Je vous propose aujourd'hui deux découvertes:
- l'oeuvre incroyable d'une photographe de rue : Vivian Maier, et merci à Jacques Masse pour m'y avoir inciter.
- et OPENYE, un magazine d'images gratuit à retrouver régulièrement sur Internet.
L'article sur Vivian est rédigé par le rédacteur en chef d'OPENEYE, Philippe Litzer, il est extrait de son blog.
Philippe Pons
A la recherche de Vivian Maier
Impossible de parler « Photographie au féminin » sans parler de Vivian Maier, l’incroyable photographe de rue américaine, de mère française, morte dans la misère et la solitude sans que personne ne découvre sa très grande valeur de son vivant.
Le film de John Maloof et de Charlie Siskel, sorti en 2013 « À la recherche de Vivian Maier » est connu de tous (si vous ne l’avez pas encore visionné, faites-le rapidement). Ce documentaire pose beaucoup plus de questions sur cette mystérieuse photographe qu’il n’y répond.
Aussi, nous n’allons pas vous redire ce que les autres médias rabâchent en boucle depuis cette parution, car un film est forcément un filtre entre la personne et le spectateur. Cependant nous allons nous servir du film car il va nous aider dans notre enquête pour découvrir les vraies motivations de Vivian Maier et découvrir son secret.
Rappelons brièvement que le jeune John Maloof, âgé de 25 ans, achète un lot de négatifs lors d’une vente aux enchères en fin 2007 à Chicago car – et il ne le sait pas – la vieille dame est hospitalisé et ne peut plus payer son garde-meubles. Il recherche des photos de la ville pour illustrer un ouvrage et, n’en trouvant pas, il oublie cet achat. Un autre acheteur des négatifs de Vivian Maier, Ron Slattery, publie alors quelques-unes des photos sur Internet dans un désintérêt complet du public. Mais cela réveille Maloof, qui s’y remet aussitôt et découvre dans l’œuvre de cette dame une qualité d’images impressionnante ! Il contacte les autres acheteurs des lots qui lui vendent les négatifs (sauf bien sûr Ron Slattery). Maloof acquière aussi le contenu total du garde-meubles et c’est là que cela devient intéressant pour notre enquête. Il découvre que la vieille dame conservait tout ! Des dizaines de valises pleines, des caisses débordant d’objets de toute sorte, des factures, des chèques non encaissés, des tickets de train ou de consigne… et surtout des piles de journaux. Le film montre cette débauche d’objets en tout genre et met bien en évidence l’aptitude de Vivian Maier à tout garder ou plutôt son inaptitude à se débarrasser de quelque chose !
Maloof apprend par une recherche Internet que Vivian Maier est décédée le 21 avril 2009. Il part aussitôt « à la recherche » de cette inconnue, ce qui aboutira au fameux film. Depuis, on connaît l’engouement du public américain et européens pour cette artiste considéré à juste titre comme l’égale des plus grands photographes de rue.
En lisant entre les lignes ou en regardant « autrement » le film, on découvre que Vivian Maier avait deux… TOC (trouble obsessionnel compulsif). Bien sûr, à l’époque, on ne parlait pas de cela, on disait simplement que certaines personnes étaient maniaques. Mais aujourd’hui la science a donné des noms bien précis à certains troubles du comportement et il existe également des moyens pour les guérir. D’autre part il faut savoir que les TOC ont tendance à s’accentuer avec l’âge.
Voyons d’abord son premier trouble. Vivian Maier avait horreur de se mettre en avant. Elle écrivait son nom de différente manière (Meyer, Mayer, Maier etc.) ou donnait un faux nom comme V. Smith. Pour ses employeurs (elle était nounou dans des familles plutôt aisées) elle leur demandait de l’appeler d’une certaine façon, mais dans chaque famille c’était différent. Elle voyageait également souvent sous un nom d’emprunt. D’autre part elle ne donnait jamais son identité, même lorsqu’elle commandait quelque chose dans un magasin et se considérait un peu comme « une espionne » dans son imaginaire. De plus elle singeait les journalistes en effectuant des reportages où elle interviewait des gens dans la rue ou dans les grands magasins avec un magnétophone. Elle suivait également les traces de certains criminels en filmant les scènes de crime après s’être renseignée dans les journaux dont elle faisait une grande consommation. Bref, avec ces transferts… elle s’inventait une vie plus exaltante et bien différente de celle d’une nounou tout en gardant son identité secrète et en défendant son intimité au-delà des limites du raisonnable. Ce trouble du comportement l’a certainement desservi pour la publication de ses photos. Elle avait bien envisagé de voir certaines de ses images publiées sous forme de carte postale en France… car ce pays lui servait un peu de base arrière et était très éloigné des villes de New York ou Chicago où elle travaillait.
Regardons maintenant sa seconde pathologie, car il s’agit bien d’une maladie passée inaperçue chez elle. Il s’agit de cette funeste « accumulation compulsive » qui n’a fait que s’amplifier et s’aggraver au fil des ans. On l’appelle également « syllogomanie ». Voici ce que dit le Centre de recherche Fernand Séguin de l’Hôpital Louis-H. Lafontaine à ce sujet :
L’accumulation compulsive est reconnue comme étant un sous-type du trouble obsessionnel-compulsif et peut toutefois être un symptôme qui accompagne d’autres formes de troubles de santé mentale. Cette problématique se caractérise par le fait d’amasser et d’entreposer des quantités inhabituelles d’objets qui ne possèdent pas de valeur perceptible.
La plupart des objets peuvent devenir sujets à l’accumulation, mais les plus communs sont : Les journaux, les revues, les dépliants, les reçus, les comptes, les déchets domestiques, les cartons vides, les aliments en conserve, la correspondance, les meubles et les ordures.
Chez Vivian Maier on retrouve bien sûr les journaux (ses différentes chambres en étaient tellement pleine qu’il était impossible d’y circuler normalement), des revues, des reçus, de la correspondance, des habits, des babioles, des médailles, des cartons et des valises, toute la panoplie du photographe et plus de 120'000 négatifs, etc.
Deux motivations importantes semblent inciter à l’accumulation : utilitaire et sentimentale.
Dans la première catégorie, les personnes se disent : « J’en aurai besoin un jour » ou « Et si j’avais besoin d’information, d’une recette, d’un reçu, d’une boîte vide, etc… plus tard ? ». Bien sûr « un jour », ou « plus tard », n’arrive jamais et pendant ce temps, la pile d’objets qui « peut être utile un jour ou l’autre» continue de s’accumuler et d’encombrer.
Vivian Maier indique à ses logeurs qu’elle a besoin des journaux et qu’elle va trier et découper les articles utiles, mais elle ne le fait jamais.
Les accumulateurs vivent souvent très isolés et mènent une vie remplie de contraintes.
Premièrement, ils sont réticents à laisser entrer des personnes dans leur maison parce qu’ils pourraient avoir honte de l’état d’encombrement dans laquelle ils se trouvent.
Leur problème peut également les faire se sentir coupables et ils peuvent souffrir de dépression. Cela devient aussi difficile de débuter ou de maintenir une relation avec les accumulateurs étant donné que le niveau de compréhension de la problématique par l’autre partenaire est généralement faible.
Vivian Maier ne laisse personne entrer dans sa chambre ou dans son espace vital. C’est là un signe certain de ce trouble qui, avec les années, devient de plus en plus contraignant. De plus on ne lui connaît pas vraiment d’amies et encore moins de petits-amis.
Avec les années, ce TOC devient problématique et exclut la personne de toute vie sociale. On parle alors de « syndrome de Diogène ». Voici ce qu’en dit le Dr. Thomas Knecht, de la « Psychiatrische Klinik » à Münsterlingen :
Le syndrome de Diogène concerne des patients négligés, en état d’incurie, généralement âgés, dont la symptomatologie dominante consiste à amasser et à entasser des objets inutiles, parfois même des déchets. Dans de nombreux cas, il existe à la base un trouble de la personnalité, une évolution vers une démence, une psychose endogène, une névrose obsessionnelle-compulsive.
Vivian Maier a certainement souffert de ses TOC et elle en est devenue l’esclave. Son emploi de nourrice, job pas très valorisant aux USA, lui permettait pourtant de photographier toute la journée avec « l’alibi » des enfants à promener n’importe où, chose qui eut été impossible si elle avait travaillé à l’usine ou au bureau. Mais ce travail l’a également éloigné d’une vie normale car des études récentes ont montré qu’à cette époque (vers les années 70) les nounous renonçaient pour la plupart à fonder une famille, s’excluant de fait de toute vie normale. L’autre problème lié à cette profession, c’était son niveau très bas de reconnaissance dans l’échelle sociale des USA qui malgré le mythe du self made man ne donnait aucune chance à une « nannie ». C’est pourquoi Vivian Maier s’est toujours senti plus proche des pauvres ou des marginaux et des personnes provenant des minorités ethniques que des riches qu’elle méprisait. On remarque cela dans ses images qui sont un peu une chronique de la vie ordinaire, excluant tout glamour et où les nantis sont vus sous l’angle de la dérision.
Un autre aspect de sa personnalité nous est dévoilé par le film. Il s’agit de son côté narcissique. Elle a effectivement accumulé les autoportraits. Chaque photographe en réalise quelques-uns, et c’est normal, mais chez Vivian Maier il s’agit d’imprimer sa personne dans son œuvre et, plus elle reste une inconnue, plus elle va graver son image dans son œuvre, de façon à en faire un ensemble indissociable. Il s’agit en quelque sorte d’une compensation à son manque de reconnaissance dans la vraie vie : elle devient ainsi l’héroïne de son travail de photographe.
Pour conclure, disons que Vivian Maier, avec ce mal-être pathologique, aurait eu du mal à s’affirmer dans le monde de la photographie car elle avait horreur d’être sous les projecteurs. Elle était plutôt une outside woman qui regarde le monde sans y participer. Souvenons-nous d’Henri Cartier-Bresson - avec lequel il n’est pas sot de la comparer - et qui détestait qu’on le prenne en photo de peur de ne plus pouvoir travailler incognito.
Reste une artiste qui maîtrisait le cadrage à la perfection et qui là aussi était obstinée par une rigueur absolue. Bien sûr on pense à Lisette Model, Diane Arbus, Hellen Levitt ou Weegee en regardant ses images… mais elle nous révèle quelque chose de très personnel… en photographie l’insignifiant, elle lui donne du sens.
Et comme le dit si bien Joël Meyerowitz dans le film : « Il faut prendre les éléments que l’on a d’elle pour comprendre sa personnalité. Elle nous montre, au travers de ses photos, beaucoup de tendresse, une perception du tragique mais aussi beaucoup de générosité. Je vois en elle une fine observatrice pleine d’humanité. »
Philippe Litzler, rédacteur en chef d'OPENEYE, le regard d’aujourd’hui sur la photographie
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OPENEYE : Le N° 8 est sorti le 8 Septembre
Découvrez le focus sur DINGO, photographe atypique comme son nom.
Nous avions un gros client commun, RENAULT, il photographiait le véhicule terminé et moi la fabrication et la conception.
Ph P